En toute franchise

En toute franchise

J'éprouve une grande affection pour le Frank Bascombe de Richard Ford, comme on peut en éprouver pour un ami de longue date qu'on retrouve à différentes périodes de sa vie. J'ai découvert ce jeune et fringuant journaliste sportif dans dans Un week-end dans le Michigan.Je l'ai retrouvé agent immobilier, écrivain raté, divorcé et père de trois enfants Indépendance.Il n'était pas du tout en forme lorsque je l'ai quitté dans L'état des lieux:atteint d'un cancer de la prostate, affligé par la mort de l'un de ses fils, englué dans les ruines de son mariage. J'avais eu vent que le cycle de Frank Bascombe se terminait avec L'état des lieux. J'étais en deuil! Voyant arriver la traduction d' En toute franchise, j'étais on ne peut plus ravie de voir mon cher Frank de retour et me suis précipitée pour prendre de ses nouvelles.

En toute franchise sonne l'heure des bilans. Pas de roman ici, mais plutôt quatre nouvelles, quatre tranches de vie, chacune comprenant une soixantaine de pages.

Fin 2012. Frank a soixante-huit ans. Il est revenu s'installer à Haddam, dans le New Jersey. Ses enfants Clarissa et Paul sont indépendants et lui causent très peu d'inquiétude. Son ex Ann, quoique revenue vivre à Haddam, n'est pas trop envahissante. Le cancer est derrière lui. Il trouve de quoi s'occuper en faisant de bonnes actions: se rendre une fois par semaine à l'aéroport pour accueillir les soldats qui rentrent de mission, déboussolés et fatigués. Rédiger un papier mensuel dans We Salute You, un magazine distribué gratuitement aux troupes qui rentrent au pays. Il fait aussi la lecture aux aveugles. Bref, il coule une douce retraite aux côtés de Sally, jusqu'à ce que l'ouragan Sandy vienne frapper la côte est des États-Unis.

Frank répond à la supplication insistante d'un de ses anciens clients dont la maison - où Frank habita avant lui - n'est plus que ruines après le passage de l'ouragan. C'est la première des sollicitations auxquelles Frank est confronté. En suivront d'autres, chacune occupant sa partie du recueil. Celle d'une étrangère afro-américaine qui frappe à la porte de Frank et lui révèle la tragédie survenue dans la maison où il habite. Celle de son ex-femme Ann, atteinte d'un parkinson, à qui il doit apporter un oreiller orthopédique . Celle d'Eddie, un ami de jeunesse en phase terminale d'un cancer, qui souhaite voir Frank pour lui faire un dernier aveu.

Plus que jamais convaincu que "la vie consiste à se délester progressivement pour atteindre à une essence plus solide, plus proche de la perfection", Frank se désencombre, il fait du ménage dans sa vie. Bien malgré lui, les autres le submerge par leurs appels à l'aide, à la tendresse, à la compassion. Et parce qu'il est un bon gars dévoué et généreux, il fait face à la chanson.

En toute franchise

Richard Ford brosse une fiction d'une remarquable densité sur les vicissitudes de la vie. Il épouse le quotidien pour mieux mettre à jour l'irréductible part de mystère et d'absurde, mais aussi d'humour, qu'il contient. Il décortique les événements les plus infimes, les tourne et les retourne autour d'une seule et même question: comment, arrivé à un certain âge, continuer de vivre sans tomber dans le cynisme, l'indifférence et l'isolement?

Caustique, bavard, malicieux et lucide, Frank Bascombe demeure pour moi l'un des personnages les plus attachants de la littérature américaine contemporaine. Il est l'incarnation parfaite de l'homme moyen américain, loin de toute caricature et de toute mauvaise sociologie. Son regard essoré de toute illusion, son côté méditatif, ses défauts et ses blessures me le rendent terriblement attachant.

Un recueil caustique, orageux, avec un chapelet de scènes tragicomiques et quelques coups de griffe contre l'Amérique, habité par un Frank égal à lui-même. Mais là, je suis en deuil!

[...] J'ai toujours pensé que c'était très surfait, l'amitié. Toute ces choses qui me passent par la tête et par la vie, et que je pourrais souhaiter "partager" avec un ami, honnêtement, je n'ai rien à en dire. Toutes ces données qu'on collecte à longueur de temps et qu'on stocke dans sa cervelle en comptant bien s'en servir un jour - la lèpre est transmise par le tatou; on assiste à une recrudescence des morsures de chien; un nombre croissant d'individu se déclarent sans appartenance religieuse; l'engagement dans la collectivité est en baisse; la mouche tsé-tsé allaite son petit tout comme le panda -, qu'est-ce que vous voulez qu'on en fasse, moi comme les autres? À soixante-huit ans, je vous demande un peu! Je pourrais les poster sur Facebook ou sur Twitter, mais comme dit Eddie Mellow, tout le monde sait déjà tout et tout le monde s'en fout. Inutile de dire que je ne suis pas sur Facebook. Contrairement à ma femme.

En toute franchise, Richard Ford, éd. de l'Olivier, 234 pages, 2015.

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