Phil Dec
On avait juste besoin d’un peu d’attention, et vous nous avez collé sous le nez vos bonnes intentions ; en pensant qu’avec une tape dans le dos, ça passerait. Mais si c’est l’intention qui compte, ça fait bien longtemps que vos conseils ne passent plus. Et même si les mômes comme moi arborent toujours ce même sourire poli en vous écoutant réciter par cœur les clichés dont le monde vous a gavés, vos bonnes intentions, on met le pied gauche dedans le premier. Les grands adorent exposer leurs trophées au-dessus de la cheminée de leur belle maison, même s’ils prennent la poussière et qu’aucun visiteur ne les regarde jamais.
Ils adorent balancer leurs leçons de vie du haut de leur âge qui compte triple, et donner leur avis même si personne ne leur a demandé. Et ils brandissent toujours leurs foutus conseils, comme Moïse redescend du mont Sinaï avec ses deux tables : trop tard (ou trop tôt, et vice et versa). Et si vous avez vieilli au coin du feu de la cheminée en vous endormant sur vos romans policiers, où les méchants portent un blouson en cuir sur leurs tatouages et les gentils ont de jolis brushings et des chemises repassées sans faux plis, nous, on a grandi dans des studios au plafond trop bas en nous gavant de poulets aux hormones, de sucres raffinés et de séries télé où un docteur irascible bouscule les conventions et cherche la vérité dans un monde où tout le monde ment. On a pris sa canne pour épée de fortune, sa misanthropie pour bouclier ; et même si on n’a jamais eu qu’une fenêtre dans notre neuf mètres carrés, on a bien plus profité de la vue que du haut de vos jolis balcons où personne ne prend jamais le temps de s’asseoir cinq minutes.
Votre erreur, c’est que vous nous avez fait trop de promesses. Et les promesses, c’est comme la neige, on a toujours les yeux qui brillent au début, mais, dès que le soleil pointe le bout de son nez, ça fond. Les neiges éternelles n’existent pas, vos promesses ont fondu et le père Noël n’est jamais venu remplir nos petits souliers de cette putain d’attention dont on avait besoin. Et quand, sous le sapin, les cadeaux débordent d’envies contrôlées, de caprices que la publicité a fabriqués, les besoins restent toujours sur leur faim.
On avait besoin de bisous esquimaux, de mains moites et de regards complices, vous nous avez collé sous le nez vos paquets recouverts d’un papier brillant et d’un joli nœud rouge en Bolduc. On avait besoin de repères, d’hommes généreux de femmes fortes en colère, mais en déchirant le papier doré on n’a trouvé que Barbie en robe blanche et Action Man qui part à la guerre. On avait besoin de vous parler, on a ravalé votre soupe froide et vos « y’a pas de mais ». On avait besoin que vous nous parliez, vous nous avez foutus autour de la table des petits et planqués sous la couverture en patchwork les secrets de famille. Je voulais juste partager avec vous mes doutes, mes balades en forêt et mes larmes trop salées, vous avez allumé la télé et mis un bêtisier pour rigoler un peu en me tendant un toast au foie gras. Je voulais juste me montrer telle que je suis, vous avez brandi par réflexe une cuisse de dinde aux marrons et vos conseils.