La poupée de Daphné du Maurier

Publié aux éditions Albin Michel,

" L'idée me plaît, bien qu'elle soit assez extravagante et folle. " Dans ses carnets, Daphné du Maurier évoque ainsi l'une de ses premières nouvelles, La Poupée. Publié dans une revue mais refusé par les éditeurs, le texte avait disparu jusqu'à ce qu'une libraire de Cornouailles, passionnée par la romancière anglaise, ne le retrouve avec d'autres récits de jeunesse, dont cinq totalement inédits. Une extraordinaire découverte, car ces nouvelles, écrites alors que l'auteur avait à peine vingt ans, donnent les clefs de ses grands romans.
Et quelles clefs ! Qu'elle mette en scène la perversité d'une jeune femme aux mœurs mystérieuses, campe le portrait d'un pasteur corrompu et mondain, radiographie le délitement d'un couple, ou s'attache à suivre les déambulations d'une prostituée londonienne, l'auteur de Rebecca manifeste, à travers un imaginaire très singulier, une curieuse attirance pour les obscures manifestations de l'inconscient...
Ces inquiétants récits révèlent une jeune femme très en avance sur son temps, critique de l'hypocrisie sociale, avec cette maîtrise du suspense et de la narration qui feront d'elle, en précurseur du thriller psychologique, l'inspiratrice d'Hitchcock et, tout simplement, une des plus brillantes romancières du XXe siècle.

Mon Book club du mois de septembre sera consacré à Daphné du Maurier. J'ai déjà lu bon nombre de ses œuvres, en tout cas les plus intéressantes. Certains romans comme Mad ne me font pas du tout envie. Je me suis penché sur son recueil de nouvelles paru chez Albin Michel il y a déjà deux ans. La quatrième de couverture envoie du rêve en nous promettant des nouvelles inédites retrouvées par une vieille libraire au fin fond de la Cornouailles. Qui plus est, ces nouvelles sont sensées éclairer d'un nouveau jour l'œuvre de Daphné du Maurier, étant donné qu'il s'agit d'œuvres de jeunesse. Premier point que je n'ai pas apprécié: le caractère mensonger de la quatrième de couverture. Tous ces textes ont paru dans la presse du vivant de Daphné du Maurier. A lire le résumé du livre, j'ai eu l'impression qu'il s'agissait d'une grande découverte, d'un trésor. Que nenni! Tout est expliqué noir sur blanc à la fin du recueil. Deuxième point: on sent vraiment que l'auteur en est à ses balbutiements. Son écriture n'est pas encore bien affirmée mais pourtant elle contient déjà le germe de ce qui fera d'elle une grande plume. Si je n'ai pas apprécié toutes les nouvelles de ce recueil, certaines m'ont tout de même marquée. Il y a d'abord la nouvelle " La poupée " qui donne son titre au recueil. Dans ce texte, on croise le chemin d'une certaine Rebecca!! Si l'intrigue se révèle assez simple (on se doute rapidement de la fin), j'ai eu plaisir à lire l'évocation de cette figure féminine qui donnera son nom au chef-d'œuvre éponyme. Daphné nous décrit un personnage charmeur, séduisant mais fatal. Le personnage de Rebecca apparaît comme redoutable par sa perversité. Le narrateur du récit y succombera d'ailleurs. L'auteur m'a aussi beaucoup étonnée par la variété de ses thèmes et de ses personnages. Daphné est très jeune lorsqu'elle écrit ces textes et pourtant elle n'hésite pas à évoquer l'arrogance d'un prêtre se souciant davantage de sa notoriété que de ses fidèles dans " Notre Père ". La nouvelle se termine d'une manière plutôt violente. Daphné du Maurier nous laisse analyser la conscience d'un prêtre corrompu, sans scrupules, l'emportant sur tous. L'auteur peint aussi le quotidien de Mazie, dans la nouvelle éponyme. Mazie est une prostituée qui nous raconte comment elle en est arrivée là. Sans concession, sans empathie, l'auteur nous dresse un portrait criant de vérité et encore d'actualité. Elle explore toutes les couches de la société sans tabou. Dans " La Vallée heureuse ", elle fait osciller le lecteur entre le rêve et la réalité. Une femme fait des rêves étranges. Elle se promène dans une vallée, ornée de fleurs. Elle semble avoir vécu dans cet endroit et va mener l'enquête. Peu à peu, le fantastique s'invite dans la nouvelle. Enfin, j'ai beaucoup apprécié la dernière nouvelle du recueil " La sangsue ". On y retrouve l'humour de Daphné du Maurier. Elle y met en scène une femme qui, par son influence, manipule son monde comme elle le veut et pousse à bout tous ceux qu'elle croise. Elle se plaint d'être rejetée et seule! C'est très drôle car la nouvelle est racontée du point de vue de cette " sangsue " qui ne se rend pas compte du mal qu'elle fait aux autres et qui plaide l'innocence pure.
Ce recueil de nouvelles m'a donc beaucoup plu. On sent la jeunesse et la maladresse de l'auteur en devenir et pourtant elle pose déjà les fondations de son œuvre future. On y trouve déjà en germe des grands thèmes comme la femme fatale, la destinée, l'ascendant psychologique sur les autres. Un recueil à découvrir pour les mordus de l'auteur...