Je n'ai pas été très studieux, ces derniers jours, et le hasard fait que je rédige ce billet le jour où juifs et musulmans célèbrent des fêtes majeures de leurs calendriers, Kippour et l'Aïd. Quand je parle de hasard, c'est parce qu'on est au coeur du sujet de notre roman du jour. Un roman qu'il est assez délicat de ranger dans telle ou telle catégorie, puisqu'on y trouve des éléments historiques, des élément qu'on peut qualifier de fantastique et une réflexion profonde sur la tolérance, pas uniquement religieuse, même si cet aspect occupe une grande part du récit. En fait, ce que signe Gérard de Cortanze dans "l'an prochain à Grenade" (disponible désormais au Livre de Poche), c'est un véritable conte philosophique dans lequel il évoque les persécutions dont les juifs ont, de tout temps, été victimes, adaptant le mythe du juif errant et prônant la tolérance et le respect. Et, pour cela, il dépoussière l'utopie de la Grenade médiévale où, dit-on, cohabitaient parfaitement les trois grandes religions monothéistes... Utopie, car dans les faits, cette Grenade idéale ne reflétait certainement pas l'harmonie tant vantée par la légende.
Au XIe siècle, Grenade, l'une des principales villes d'Al-Andalus, territoire qui correspond à la quasi-totalité de l'actuelle péninsule ibérique, sous domination musulmane, est connue pour voir cohabiter paisiblement musulmans, juifs et chrétiens. Une coexistence peut-être pas aussi harmonieuse que la légende le dit, mais bien réelle.
Et jusqu'au sommet du pouvoir, puisque Abdar al-Fikri, l'émir de Grenade, a choisi pour l'épauler le chef de la communauté juive de la ville, Samuel Ibn Kaprun, dont il a fait le chef de son armée. Une situation qui ne met pourtant pas les trois communautés sur le même plan d'égalité, les musulmans conservant la mainmise sur le taïfa de Grenade.
Ibn Kaproun, en cet automne 1066, est un homme d'âge mûr, mais il reste marqué par le massacre qui a décimé sa famille, à Cordoue, alors qu'il n'était encore qu'un enfant. Aussi, malgré sa position élevé et l'amitié de l'émir, reste-t-il très prudent, quant à la situation du pays. Depuis la chute de Cordoue, une trentaine d'années plus tôt, Al-Andalus s'est morcelé en petits royaumes qui s'affrontent régulièrement...
L'opposition entre Arabes et Berbères entraînent régulièrement des conflits violents pour des prises de territoires. Ibn Kaproun, en tant que chef de l'armée de Grenade est mieux placé que quiconque pour le savoir. Mais, son inquiétude est différente : depuis quelques mois, les actions visant les juifs se sont multipliées et l'homme craint que cela prenne de l'ampleur...
Hélas, son intuition va se révéler exacte. D'abord, avec l'apparition d'un prédicateur charismatique et terriblement violent, qui va attiser la haine envers tous les non-musulmans, et plus particulièrement les juifs. Ce mystique, au verbe haut et terriblement convaincant, se fait appeler Iblis. L'un des noms de Satan, dans la religion musulmane...
Tout au long de l'automne, les tensions vont monter à Grenade, sous le regard impuissant de l'émir et de son bras droit. Les paroles d'Iblis ont agi comme par contagion et le bouc émissaire a été désigné : tous les malheurs viennent de ces juifs, riches, puissants, qui maintiennent le peuple dans la misère... La colère monte, monte, et rien ne paraît pouvoir l'endiguer.
Et, tandis qu'Iblis poursuit sa harangue et fait monter la pression, les juifs se retranchent dans leur quartier. Les appels de l'émir à la tolérance, ses tentatives de répression, également, tout cela échoue. Le 31 décembre 1066, éclatent des troubles qui vont se transformer rapidement en un immense massacre. Près de 5000 personnes, juives pour la plupart, sont tuées par la foule.
Parmi les victimes, Samuel Ibn Kaproun. Mais sa fille, elle, réussit par miracle à s'échapper. En fait, Gâlâh, qui a 14 ans, n'était pas chez elle mais passait la soirée avec son ami, Halim, un jeune poète musulman. Une relation qui a fait beaucoup jaser, mais qui a sauver la vie de l'adolescente. La voilà seule au monde, mais plus proche que jamais de Halim.
Mais Samuel, quelques jours avant le drame, pressentant sans doute son imminence, a confié des choses à sa fille. Un livre, d'abord, dans lequel Samuel Ibn Kaproun, qui fut un grand érudit, a soigneusement consigné l'histoire de son peuple. A Gâlâh, la tâche de poursuivre cette histoire. Et puis, une khomsa, ou main de Fatma, talisman censé protéger la jeune fille.
Commence alors une errance loin de Grenade. Mais, est-ce l'action de la khomsa, voilà que Gâlâh ne vieillit plus. Aux yeux des gens, elle apparaît sous divers aspects, mais reste une jeune fille de 14 ans, douée d'immortalité. La voilà qui va voyager dans le monde entier à la rencontre des descendants de Sefarad, le nom que les juifs donnaient à la péninsule ibérique.
Une communauté qui, au fil des siècles, va connaître de nombreux exils, créant une nouvelle diaspora au sein même de la diaspora. Et, du Moyen-Âge jusqu'à notre époque, jamais ces communautés ne trouveront une paix durable, subissant persécutions, conversions forcées, massacres, départs précipités... Gâlâh, aux première loges, se fera la fidèle narratrice de ces drames, sans jamais perdre de vue Halim, même si le garçon n'a pas bénéficié des mêmes bienfaits que sa chère et tendre.
A travers l'interminable voyage de Gâlâh, on retrouve une récurrence terrible : cette intolérance religieuse, puis, plus tard, plus idéologique et même raciale, qui va frapper les juifs. Une position de bouc émissaire qui revient, régulièrement, lorsque la peste frappe, quelque soit l'époque, quelque soit le lieu... Le Juif est toujours désigné comme responsable de ce qui ne va pas.
Certes, "l'an prochain à Grenade" se concentre sur la question des juifs, mais il ne faut pas en tirer la conclusion qu'ils seraient les seules victimes de ces méfaits. Les deux autres religions que sont le catholicisme et l'islam ont eu aussi leurs dissensions et leurs extrémismes.Les guerres de religion entre catholiques et protestants ou l'invasion des Almoravides et des Almohades en témoignent.
De la même manière, la rupture entre les trois grandes religions et les catastrophes qui en ont résulté ne doivent pas oublier que, de chaque côté, il y a des coeurs purs, des esprits libres, des justes... Plusieurs exemples de musulmans venus en aide à leurs frères juifs sont par exemple souligné dans le récit de Gâlâh, comme à Sarajevo, par exemple, pendant la guerre de Yougoslavie.
Malgré tout, difficile de ne pas regarder la situation des juifs retracée dans ce livre avec la désagréable impression que les mêmes effets produisent les mêmes causes, depuis mille ans. Le massacre du 31 décembre 1066 à Grenade, sonne comme un point de départ. L'implosion de cette ville réputée pour être un lieu de tolérance ouvre une ère sombre dont nous ne sommes manifestement pas sortis.
Pas besoin de faire de grands développement, notre actualité quotidienne ces derniers mois, ces dernières années, ne cesse de nous montrer cela. La situation en Syrie, où les principales victimes sont musulmanes, réussit, par un tour de passe-passe, à alimenter un antisémitisme profond chez certains, par exemple...
Il ne faut, et c'est un des autres axes fort de "l'an prochain à Grenade", pas négliger la dimension culturelle de la lutte que mène Gâlâh. En effet, à la fois par la rédaction qu'elle tient consciencieusement à jours des événements, comme de la manière dont elle défend la culture séfarade, ce sont les racines de cette communauté que cherche à préserver l'adolescente.
Cela passe par les ouvrages et leur sauvegarde, d'abord. Je reprend l'exemple de Sarajevo, où Kamal Hazic, responsable de la bibliothèque de la ville et musulman, a sauvé des documents inestimables de la destruction. Pas la totalité, mais beaucoup de manuscrits religieux issus de la communauté musulmane. Il sera tué, plus tard, par un sniper...
Ces exemples-là, il y en a beaucoup d'autres. Dans nombre de lieux où, un jour, les juifs ont été visés par la vindicte aveugle et arbitraire, ou tout simplement par la folie humaine, malicieusement alimentée par quelques prophètes de mauvais augure, on est parvenu à sauver des livres, des Torah, des documents... Tout cela aussi a permis à la communauté de survivre, malgré tout.
Mais, Gâlâh a un autre cheval de bataille, plus compliqué encore à défendre : la sauvegarde du ladino, cette langue typique des communautés séfarades, qui s'efface au fil des siècles. Là, ce ne sont pas les drames qui en sont la seule cause, mais tout simplement une question de transmission. Comme si les juifs séfarades se dissolvaient, au fil des générations et des exils, dans les sociétés où ils s'installent... Une acculturation qui met les racines en péril.
Ces racines que Gâlâh voudrait tant voir retrouver de la vitalité. "L'an prochain à Grenade" est un titre qui fait explicitement référence à la formule "l'an prochain à Jérusalem". Le parallèle entre Grenade, ville de la cohabitation entre les trois religions, et Jérusalem, la ville trois fois sainte, est presque une évidence.
L'idée qu'on puisse, sur l'exemple de cette Grenade mythique, retrouver un jour une société, la plus large possible, où chacun, juif, chrétien, musulman, et toute autre orientation spirituelle, puisse vivre en harmonie, est le rêve (impossible ?) que caresse Gâlâh dans sa quête sans fin. On ne peut que souhaiter que ce rêve se réalise, mais le chemin, on s'en rend compte au quotidien, sera sans doute encore long et jalonné de nouveaux drames...
Dernier point, le conte philosophique. Gérard de Cortanze fait de Gâlâh une nouvelle figure du juif errant. Ce n'est plus un homme, mais une adolescente, qui porte ses oripeaux. Ne pèse plus sur elle le poids d'une quelconque culpabilité, comme le personnage originel, mais bien l'histoire d'un peuple et sa mémoire. Là aussi, la nuance est importante.
Oh, je ne doute pas que la vision développé par l'auteur dans ce livre puisse prêter le flanc à de vives critiques, le sujet est plus que sensible, par les temps qui courent. Pourtant, il y a dans ce livre, un message profondément humaniste, loin des extrémismes de tout poil au terrible pouvoir de nuisance, un plaidoyer sincère en faveur de la tolérance et du respect d'autrui.
Une volonté aussi de mettre sur le devant de la scène une culture, plus importante, finalement, que la religion elle-même. Celle-ci peut être englobée dans la culture, dans ce qui se transmet de générations en générations, mais ne doit pas être le seul objet de cette transmission, ni sa base. En revanche, la connaissance de ses racines, de sa langue, de ses spécificités, ne doit se perdre à aucun prix... Surtout en ces temps de globalisation.
Cette dimension philosophique, ainsi que la présence régulière de textes poétiques, écrits par différents personnages (jusqu'à Iblis, étonnant paradoxe), vient, par un raffinement tout oriental, contrebalancer la violence, omniprésence au long de ce livre. Un déploiement d'horreurs et de méthodes pour éliminer son prochain qu'on ne doit pas laisser être l'unique marque de notre espèce...
Au XIe siècle, Grenade, l'une des principales villes d'Al-Andalus, territoire qui correspond à la quasi-totalité de l'actuelle péninsule ibérique, sous domination musulmane, est connue pour voir cohabiter paisiblement musulmans, juifs et chrétiens. Une coexistence peut-être pas aussi harmonieuse que la légende le dit, mais bien réelle.
Et jusqu'au sommet du pouvoir, puisque Abdar al-Fikri, l'émir de Grenade, a choisi pour l'épauler le chef de la communauté juive de la ville, Samuel Ibn Kaprun, dont il a fait le chef de son armée. Une situation qui ne met pourtant pas les trois communautés sur le même plan d'égalité, les musulmans conservant la mainmise sur le taïfa de Grenade.
Ibn Kaproun, en cet automne 1066, est un homme d'âge mûr, mais il reste marqué par le massacre qui a décimé sa famille, à Cordoue, alors qu'il n'était encore qu'un enfant. Aussi, malgré sa position élevé et l'amitié de l'émir, reste-t-il très prudent, quant à la situation du pays. Depuis la chute de Cordoue, une trentaine d'années plus tôt, Al-Andalus s'est morcelé en petits royaumes qui s'affrontent régulièrement...
L'opposition entre Arabes et Berbères entraînent régulièrement des conflits violents pour des prises de territoires. Ibn Kaproun, en tant que chef de l'armée de Grenade est mieux placé que quiconque pour le savoir. Mais, son inquiétude est différente : depuis quelques mois, les actions visant les juifs se sont multipliées et l'homme craint que cela prenne de l'ampleur...
Hélas, son intuition va se révéler exacte. D'abord, avec l'apparition d'un prédicateur charismatique et terriblement violent, qui va attiser la haine envers tous les non-musulmans, et plus particulièrement les juifs. Ce mystique, au verbe haut et terriblement convaincant, se fait appeler Iblis. L'un des noms de Satan, dans la religion musulmane...
Tout au long de l'automne, les tensions vont monter à Grenade, sous le regard impuissant de l'émir et de son bras droit. Les paroles d'Iblis ont agi comme par contagion et le bouc émissaire a été désigné : tous les malheurs viennent de ces juifs, riches, puissants, qui maintiennent le peuple dans la misère... La colère monte, monte, et rien ne paraît pouvoir l'endiguer.
Et, tandis qu'Iblis poursuit sa harangue et fait monter la pression, les juifs se retranchent dans leur quartier. Les appels de l'émir à la tolérance, ses tentatives de répression, également, tout cela échoue. Le 31 décembre 1066, éclatent des troubles qui vont se transformer rapidement en un immense massacre. Près de 5000 personnes, juives pour la plupart, sont tuées par la foule.
Parmi les victimes, Samuel Ibn Kaproun. Mais sa fille, elle, réussit par miracle à s'échapper. En fait, Gâlâh, qui a 14 ans, n'était pas chez elle mais passait la soirée avec son ami, Halim, un jeune poète musulman. Une relation qui a fait beaucoup jaser, mais qui a sauver la vie de l'adolescente. La voilà seule au monde, mais plus proche que jamais de Halim.
Mais Samuel, quelques jours avant le drame, pressentant sans doute son imminence, a confié des choses à sa fille. Un livre, d'abord, dans lequel Samuel Ibn Kaproun, qui fut un grand érudit, a soigneusement consigné l'histoire de son peuple. A Gâlâh, la tâche de poursuivre cette histoire. Et puis, une khomsa, ou main de Fatma, talisman censé protéger la jeune fille.
Commence alors une errance loin de Grenade. Mais, est-ce l'action de la khomsa, voilà que Gâlâh ne vieillit plus. Aux yeux des gens, elle apparaît sous divers aspects, mais reste une jeune fille de 14 ans, douée d'immortalité. La voilà qui va voyager dans le monde entier à la rencontre des descendants de Sefarad, le nom que les juifs donnaient à la péninsule ibérique.
Une communauté qui, au fil des siècles, va connaître de nombreux exils, créant une nouvelle diaspora au sein même de la diaspora. Et, du Moyen-Âge jusqu'à notre époque, jamais ces communautés ne trouveront une paix durable, subissant persécutions, conversions forcées, massacres, départs précipités... Gâlâh, aux première loges, se fera la fidèle narratrice de ces drames, sans jamais perdre de vue Halim, même si le garçon n'a pas bénéficié des mêmes bienfaits que sa chère et tendre.
A travers l'interminable voyage de Gâlâh, on retrouve une récurrence terrible : cette intolérance religieuse, puis, plus tard, plus idéologique et même raciale, qui va frapper les juifs. Une position de bouc émissaire qui revient, régulièrement, lorsque la peste frappe, quelque soit l'époque, quelque soit le lieu... Le Juif est toujours désigné comme responsable de ce qui ne va pas.
Certes, "l'an prochain à Grenade" se concentre sur la question des juifs, mais il ne faut pas en tirer la conclusion qu'ils seraient les seules victimes de ces méfaits. Les deux autres religions que sont le catholicisme et l'islam ont eu aussi leurs dissensions et leurs extrémismes.Les guerres de religion entre catholiques et protestants ou l'invasion des Almoravides et des Almohades en témoignent.
De la même manière, la rupture entre les trois grandes religions et les catastrophes qui en ont résulté ne doivent pas oublier que, de chaque côté, il y a des coeurs purs, des esprits libres, des justes... Plusieurs exemples de musulmans venus en aide à leurs frères juifs sont par exemple souligné dans le récit de Gâlâh, comme à Sarajevo, par exemple, pendant la guerre de Yougoslavie.
Malgré tout, difficile de ne pas regarder la situation des juifs retracée dans ce livre avec la désagréable impression que les mêmes effets produisent les mêmes causes, depuis mille ans. Le massacre du 31 décembre 1066 à Grenade, sonne comme un point de départ. L'implosion de cette ville réputée pour être un lieu de tolérance ouvre une ère sombre dont nous ne sommes manifestement pas sortis.
Pas besoin de faire de grands développement, notre actualité quotidienne ces derniers mois, ces dernières années, ne cesse de nous montrer cela. La situation en Syrie, où les principales victimes sont musulmanes, réussit, par un tour de passe-passe, à alimenter un antisémitisme profond chez certains, par exemple...
Il ne faut, et c'est un des autres axes fort de "l'an prochain à Grenade", pas négliger la dimension culturelle de la lutte que mène Gâlâh. En effet, à la fois par la rédaction qu'elle tient consciencieusement à jours des événements, comme de la manière dont elle défend la culture séfarade, ce sont les racines de cette communauté que cherche à préserver l'adolescente.
Cela passe par les ouvrages et leur sauvegarde, d'abord. Je reprend l'exemple de Sarajevo, où Kamal Hazic, responsable de la bibliothèque de la ville et musulman, a sauvé des documents inestimables de la destruction. Pas la totalité, mais beaucoup de manuscrits religieux issus de la communauté musulmane. Il sera tué, plus tard, par un sniper...
Ces exemples-là, il y en a beaucoup d'autres. Dans nombre de lieux où, un jour, les juifs ont été visés par la vindicte aveugle et arbitraire, ou tout simplement par la folie humaine, malicieusement alimentée par quelques prophètes de mauvais augure, on est parvenu à sauver des livres, des Torah, des documents... Tout cela aussi a permis à la communauté de survivre, malgré tout.
Mais, Gâlâh a un autre cheval de bataille, plus compliqué encore à défendre : la sauvegarde du ladino, cette langue typique des communautés séfarades, qui s'efface au fil des siècles. Là, ce ne sont pas les drames qui en sont la seule cause, mais tout simplement une question de transmission. Comme si les juifs séfarades se dissolvaient, au fil des générations et des exils, dans les sociétés où ils s'installent... Une acculturation qui met les racines en péril.
Ces racines que Gâlâh voudrait tant voir retrouver de la vitalité. "L'an prochain à Grenade" est un titre qui fait explicitement référence à la formule "l'an prochain à Jérusalem". Le parallèle entre Grenade, ville de la cohabitation entre les trois religions, et Jérusalem, la ville trois fois sainte, est presque une évidence.
L'idée qu'on puisse, sur l'exemple de cette Grenade mythique, retrouver un jour une société, la plus large possible, où chacun, juif, chrétien, musulman, et toute autre orientation spirituelle, puisse vivre en harmonie, est le rêve (impossible ?) que caresse Gâlâh dans sa quête sans fin. On ne peut que souhaiter que ce rêve se réalise, mais le chemin, on s'en rend compte au quotidien, sera sans doute encore long et jalonné de nouveaux drames...
Dernier point, le conte philosophique. Gérard de Cortanze fait de Gâlâh une nouvelle figure du juif errant. Ce n'est plus un homme, mais une adolescente, qui porte ses oripeaux. Ne pèse plus sur elle le poids d'une quelconque culpabilité, comme le personnage originel, mais bien l'histoire d'un peuple et sa mémoire. Là aussi, la nuance est importante.
Oh, je ne doute pas que la vision développé par l'auteur dans ce livre puisse prêter le flanc à de vives critiques, le sujet est plus que sensible, par les temps qui courent. Pourtant, il y a dans ce livre, un message profondément humaniste, loin des extrémismes de tout poil au terrible pouvoir de nuisance, un plaidoyer sincère en faveur de la tolérance et du respect d'autrui.
Une volonté aussi de mettre sur le devant de la scène une culture, plus importante, finalement, que la religion elle-même. Celle-ci peut être englobée dans la culture, dans ce qui se transmet de générations en générations, mais ne doit pas être le seul objet de cette transmission, ni sa base. En revanche, la connaissance de ses racines, de sa langue, de ses spécificités, ne doit se perdre à aucun prix... Surtout en ces temps de globalisation.
Cette dimension philosophique, ainsi que la présence régulière de textes poétiques, écrits par différents personnages (jusqu'à Iblis, étonnant paradoxe), vient, par un raffinement tout oriental, contrebalancer la violence, omniprésence au long de ce livre. Un déploiement d'horreurs et de méthodes pour éliminer son prochain qu'on ne doit pas laisser être l'unique marque de notre espèce...