Ethic City et pâté chinois, un texte de Denis Ramsay…

Par Chatquilouche @chatquilouche

Suis-je ethnique ? Plutôt québécois 100% pure laine, un peu tweed, peut-être… Allons-nous laisser tomber cette expression du « pure laine » maintenant que le mouton n’est plus notre symbole animal, mais notre symbole politique ? Qu’est-ce qui est typiquement québécois ? La poutine et moi ? La poutine est née à Drummondville et, moi, à Victoriaville. Sommes-nous « terroirristes » ? Quoi de plus québécois que le pâté chinois ? Steak, blé d’Inde, patates. Un ami chilien m’informait de son origine. Le pâté chinois fut ainsi appelé, car il constituait le mets de base (un mélange des denrées les plus disponibles) des constructeurs du chemin de fer, majoritairement chinois. D’ailleurs, les Chinois mangent leur riz à la vapeur, et non « à la chinoise ». Et il colle, contrairement à une marque connue ! Essayez de manger un riz qui ne colle pas avec des baguettes !
Groupes ethniques ou communautés culturelles ? Quand je débarquai à Montréal, en ’74, je vis pour la première fois une personne de couleur : une jolie d’Ayiti du même âge que moi, aux formes précocement arrondies et au prénom adorable (Lovely). C’était réellement son nom ! Dans la même année scolaire, je me suis fait des amis italiens, dont Ricardo, avec qui j’ai fait un travail en Histoire sur le débarquement des alliées en Italie durant la Seconde Guerre mondiale, précisément dans le village où il était né, à Anzio. J’imaginais les tanks à Victo ! J’eus également un ami libanais, un coréen, un délinquant et une copine qui s’appelait Évangéline. Nous avons même eu droit à une invasion vietnamienne après la guerre, cent cinquante nouveaux arrivants sur une population de mille cinq cents étudiants.
Beaucoup plus tard, j’ai travaillé à la revue Image interculturelle, qui n’était pourtant pas aussi cosmopolite que Place Publique, la feuille de chou-fleur suivante sur mon CV. Je remplaçais Siobhan, dont le papa irlandais et politisé lui avait laissé sa culture en héritage. Entre ses ancêtres irlandais et les miens, écossais, nous étions tous dans la même Gaël. Lorsque j’ai représenté Place Publique à un congrès, je me suis demandé de quelle façon en parler, outre ses caractéristiques techniques (tirage, fréquence, etc.) Je comptai alors chez nos collaborateurs vingt origines différentes, quelques originaux et pas d’orignaux, contrairement aux journaux régionaux. De plus, nous étions distribués dans le Mile End, microcosme montréalais de ce que la planète compte de diversité.
Comptons d’abord notre éditorialiste grec, sa blonde polonaise et très gentille, notre voyeur en chef (photographe) au nom hollandais (Verboten, je crois), notre monteur aux racines philippines bien qu’au visage lunaire chinois, Rhoderick. Je sais, je sais, je sais : il est impoli, malséant, malappris et mal vu d’attribuer une origine quelconque à partir des caractéristiques physiques. Mais si « Rhody » était né aux Philippines, son grand-père était né en Chine. Lui-même avait perdu sa langue d’origine pour devenir un Anglo-canado dont la langue jouait parfois d’un français imparfait, mais rafraîchissant. L’impérialisme américain prenait le visage de Leane, directrice des ventes, « my favorit pitbull » en provenance du Michigan. Sa seule employée : une Serbe de Sarajevo à la voix slave et suave, laquelle m’a apporté un éclairage différent sur ces citadins qui se faisaient tirer dessus par les Serbes. Dans l’épisode précédent, Slavica, son mari et leurs trois enfants, de même que d’autres Serbes de Sarajevo avaient dû fuir sous la pression des moudjahidin…
Il y avait également des collaborateurs juifs un peu maussades et d’autres, arabes et amusants, une délicate Belge comme une brebis dans une meute de loups, une Française extravertie à la peau foncée et aux cheveux crépus qui avait titillé ma curiosité jusqu’à ce que je lui demande si la France se situait en Afrique. Elle venait en fait de la Guyane française, mais avait étudié à Paris. Je ne m’étonnai pas non plus d’une correctrice du Nigéria qui, elle, avait la peau pâle, même pour une blanche. Ses parents français étaient tombés en amour avec ce pays d’Afrique alors qu’elle avait trois ans.
Et que dire de notre rédactrice en chef ? Notre racée danseuse de flamenco ? Belle et sexy comme Esmeralda, elleaurait dansé une gigue en « suit de ski-doo » qu’elle aurait encore soulevé notre libido. Je l’ai revue, sur Internet, suffisamment dévêtue mais drapée de sa grâce et de quelques tissus diaphanes. Quelques semaines plus tard, c’est au bulletin de nouvelles que nous entendions parler de la belle Katia. Elle était allée voir sa grand-mère au Liban et sa curiosité l’avait amené à la frontière sud où de jeunes Libanais narguaient quotidiennement les gardes-frontières israéliens. « Que celui qui n’a pas péché lance la première pierre. » Ce jour fatidique, un manifestant décida de changer sa pierre pour un cocktail-Molotov et les soldats israéliens ont immédiatement répliqué à vraies balles. Katia en a reçu trois. Abîmer un si beau corps, n’est-ce pas un crime contre l’humanité ?

Pot Luck

Nous n’avons jamais trouvé de traduction pour ce terme, thème de notre party de Noël à Place Publique. « Cannabis chanceux » peut-être ? Nous devions amener des plats « typiques » de notre communauté culinaire et partager notre quotidien qui devenait une découverte pour l’Autre. Le party avait lieu chez notre monteur, Rhody, qui demeurait le plus près et qui avait, selon ses deux colocataires, un talent culinaire qui aurait suffi à assurer sa subsistance. Je décidai de faire appel à ma mère qui prépara pour l’occasion un pâté bœuf haché et patates et une assiette de sucre à la crème (merci, mamma). Je suis désolé de ne pas pouvoir vous faire une description exhaustive des recettes de la soirée ; je me rappelle simplement que j’ai goûté tous les plats et que c’était bon.
La langue dominante était l’anglais, mais j’avais manqué quelques mots. La coloc de Rhody s’est fâchée en disant qu’elle ne parlerait pas français chez elle. Je l’appuyai, en anglais, en disant que je comprenais très bien et que, moi de même, je ne parle pas anglais chez moi. Nous avons évité la guérilla linguistique de peu.
Lorsque je présentai ma contribution culinaire à Rhody, il me demanda s’il fallait faire réchauffer ma « tarte ». Le pauvre n’avait jamais goûté de sucre à la crème de toute sa vie. Je lui expliquai qu’il s’agissait d’une friandise plus que d’un dessert, à consommer en petits carrés, avec parcimonie. À ma grande surprise, le pâté de ma mère et son sucre à la crème eut le plus grand succès. Seul notre avocat, un Anglo-Montréalais d’origine britannique, un Westmonster, je crois, connaissais le sucre à la crème, qu’eux appelaient « fudge ». « Fudge you ! »
On parla de tout et de bouffe et le sujet tomba après moult culbutes sur les galettes de sarrasin. Oui ! Oui ! Les galettes de Séraphin ! Peter me surprit en me disant qu’il en avait aussi beaucoup mangé dans son enfance. Peter était un de nos traducteurs bénévoles, bien qu’il exerce ce métier de façon professionnelle. Il était anglophone, mais parlait un français impeccable, meilleur que celui de parfaits unilingues que j’ai connus. Je lui demandai alors d’où il venait. « De New York ! » Surprise ! Je ne me croyais pas une parenté culinaire avec les New-Yorkais via la galette de sarrasin ! Sa famille, juive, venait d’Europe centrale et se composait de paysans. Ils avaient évidemment dû se trouver un autre métier en arrivant à New York. Comme ma famille provenait également de la classe paysanne, cette appartenance mutuelle nous a rejoints au-delà de nos différences.
Suis-je ethnique ? Je fais partie du peuple québécois. Je n’ai pas dit nation en me rappelant la vieille formule : P+ É = N. (Peuple plus État égale Nation.) Je fais également partie de la communauté culturelle francophone, bien que mes ancêtres soient arrivés directement de Glasgow en 1800. Combien de temps faut-il pour ne plus être étranger ? Le temps de goûter au sucre à la crème…

Notice biographique :

L’auteur se présente ainsi :

« Né à Victoriaville dans un garage où sa famille habitait, l’école fut la seule constante de son enfance troublée.  Malgré ses origines modestes, où la culture était un luxe hors d’atteinte, Denis a obtenu un bac en sociologie.  Enchaînant les petits emplois d’agent de sécurité ou de caissier de dépanneur, il publia son premier ouvrage chez Louise Courteau en 1982 :La lumière différente, un conte fantastique pour enfants.  Il est un ardent militant d’Amnistie Internationale et un rédacteur régulier dans des journaux universitaires et communautaires.  Finalement, après plusieurs manuscrits non publiés, il publiera chez LÉR Les chroniques du jeune Houdini.  D’autres romans sont en chantier…  »

(Une invitation à visiter le jumeau du Chat Qui Louche :https://maykan2.wordpress.com/)