Parfois, je ne sais plus bien si le cru 2015 est très bon, si j'ai simplement dans la chance dans ma sélection ou si j'ai perdu tout esprit critique. Toujours est-il qu'il va me falloir encore écrire un billet laudatif, et que mes ficelles s'épuisent. Il était une ville, c'est une somme de vies minuscules qui s'entrechoquent : celle d'Eugène, ingénieur français dans l'automobile, envoyé à Détroit pour tenter de diriger un projet déjà au bord de la faillite ; celle de l'inspecteur Brown, policier aux bottes fatiguées, qui enquête comme il peut sur les enfants disparus ; celle de Candice, la serveuse au sourire brillant et rouge et celle de Charlie, gamin paumé dans un monde en ruine. Mais le personnage principal du roman est avant tout la ville, comme nous l'annonce le titre. C'est aussi ce qui, chez moi, a fait l'intérêt de cette lecture : l'ambiance de fin du monde qui règne dans Détroit m'a vraiment captivée. Peut-être est-ce un peu honteux. Comme l'écrit Thomas Reverdy, :
Traverser la ville me donne toujours l'impression de regarder un porno. Tu sais, une fascination coupable.
C'est aussi que cette atmosphère de lente déliquescence, une sorte de tout-fout-le-camp au ralenti, exprime autre chose. Le cœur du roman de Thomas B. Reverdy, c'est justement cette opposition entre la Ville, l'Industrie, l'Economie, entités toujours plus grandes et plus lointaines, et les hommes qui en sont le cœur, les hommes qui dépassent du cadre, qui ne sont pas que des chiffres, qui sont touchés de plein fouet par la crise, mais qui se cramponnent au navire. Le roman devient l'occasion de dérouler la triste histoire de Detroit et, en parallèle, l'amour malgré tout qui pousse sur la ruine, comme les herbes, mousses et troncs d'arbre qui envahissent les maisons abandonnées.
Les choses, quand elles meurent comme ça, lentement, on dirait des gens.
Le tout dans une langue précise et touchante. Il faut s'habituer au rythme des phrases au début - j'ai été tentée de sauter quelques propositions, en lire certaines un peu en diagonale... oui, honte à moi ! Mais je me suis souvent forcée à revenir en arrière, et je ne le regrette pas. S'il faut chipoter, je déplorerai quelques répétitions d'idées, de concepts, qui font un peu longueur vers le milieu de l'ouvrage. Et le fait qu'au fond, le roman n'offre pas vraiment plus que ce que promet la quatrième de couverture : ce qu'est l'amour au temps des catastrophes.
Sauf qu'il le fait tellement bien qu'on peut difficilement lui en vouloir.
La télé la nuit est comme ce coin de la ville, une sorte de ruine hantée dans laquelle errent les fantômes inutiles.