INTERVIEW – Zidrou et Lafebre: « On voulait une BD avec du soleil et des beaux sentiments »

Par Mathieu Van Overstraeten @matvano

C’est pas tous les jours qu’on fait une interview dans une Renault 4L de 1962! C’est dans ce véhicule aussi vintage qu’improbable que le scénariste Zidrou et le dessinateur Jordi Lafebre sont arrivés à la récente Fête de la BD à Bruxelles. Confortablement installés dans les sièges usés de leur vieille bagnole, on en a profité pour discuter des « Beaux étés« , leur nouvelle série consacrée à une famille belge qui part en vacances dans le sud de la France en 1973… dans une Renault 4L.

Comment est née l’idée des « Beaux étés »?

Jordi Lafebre: Le point de départ, c’est l’idée du pique-nique. Zidrou voulait absolument faire quelque chose autour de ce thème.

Zidrou: C’est vrai que j’adore les pique-niques. Je dois d’ailleurs être l’un des derniers à encore en organiser.

Lafebre: On voulait faire une série qui sorte des genres existants, et qui soit un truc vraiment à nous. Du coup, on a fait une liste des choses qui nous correspondent. Il y a le pique-nique bien sûr, mais aussi et surtout l’objectif de faire une série positive, avec des bons sentiments. Une fois qu’on a eu l’idée du pique-nique, l’idée de faire l’histoire d’une famille qui part en vacances est venue assez naturellement.

Est-ce que vous vouliez aller vers quelque chose de plus léger, après l’ambiance parfois très lourde de « La Mondaine », votre précédent album?

Zidrou: Oui, tout à fait. Pas seulement par rapport à « La Mondaine », mais aussi par rapport au marché de la BD en général. Il y a très peu de BD avec des beaux sentiments positifs, alors que c’est beaucoup plus fréquent dans le cinéma ou dans les séries télé, par exemple.

Lafebre: On voulait du soleil. Du lumineux.

Est-ce que l’histoire des « Beaux étés » se base sur votre propre expérience des départs en vacances?

Zidrou: En réalité, je me suis surtout rappelé d’une anecdote que m’avait raconté Bernard Godi (Ndlr: le dessinateur de « L’élève Ducobu », dont Zidrou est aussi le scénariste). Lorsqu’il était en retard pour livrer ses dessins, sa famille devait attendre qu’il ait terminé son travail avant d’enfin pouvoir partir en vacances. Du coup, ils mangeaient parfois des tartines pendant une semaine! J’avais aussi été frappé par une anecdote similaire avec Peyo. Quand il avait fini ses planches, lui et sa famille montaient dans l’auto et partaient à l’aventure, sans savoir où ils allaient. Bien sûr, ces anecdotes remontent aux années 60 mais je crois qu’à l’époque, cet esprit un peu fou était assez courant, surtout en Belgique. Malheureusement, les gens sont plus sérieux maintenant.

Lafebre: Au-delà de nos souvenirs personnels, l’idée des « Beaux étés » est surtout de raconter les vacances à l’ancienne. En lisant notre album, beaucoup de gens nous ont d’ailleurs dit qu’ils se reconnaissaient dans nos personnages. Un ami m’a dit: « cela me fait penser aux étés où je partais en vacances avec mes 3 frères et où on dormait par terre dans la voiture ».

Les personnages de votre BD sont clairement identifiés comme étant Belges. C’est assez rare, non? C’était une volonté claire de votre part?

Zidrou: En fait, il fallait justifier un départ de la famille vers le sud. Or, pour un Belge ou un Hollandais, ça paraît beaucoup plus naturel de descendre pour aller chercher le soleil que pour un Espagnol, par exemple. On aurait pu choisir des gens de Lille, mais je trouvais que c’était important que les personnages passent une frontière. D’autant plus que cela me permettait d’imaginer des scènes avec la douane. C’est pour ça que nous avons opté pour des Belges.

Quelle sera la suite de ce tome 1 des « Beaux étés »? Chaque histoire aura-t-elle des personnages différents?

Lafebre: Non, ce sera toujours la même famille. On va découvrir leur histoire petit à petit, sur base d’épisodes qui se passent à chaque fois en été. Le tome 2 se déroulera durant les grandes vacances de l’été 1969.

Zidrou: On veut créer une saga familiale. On veut que les gens aient envie de savoir comment les personnages évoluent, un peu comme dans le film « Boyhood ». Mais l’énorme avantage qu’on a par rapport au cinéma, c’est qu’on ne doit pas filmer les mêmes acteurs pendant 12 ans. On peut aller où on veut, soit en avant soit en arrière dans le temps, en dévoilant les choses petit à petit.

Zidrou, vous êtes sur tous les fronts en cette rentrée, avec plusieurs albums qui sortent en même temps. Vous avez décidé de passer à la vitesse supérieure?

Zidrou: Non, c’est un hasard. Jordi Lafebre, par exemple, a travaillé très vite sur « Les Beaux étés », ce qui a permis à l’album de sortir maintenant. A l’inverse, il y a un autre album paru chez Futuropolis, pour lequel le dessinateur a pris du retard et qui, du coup, sort lui aussi à peu près en même temps que celui-ci. Quant à l’album « Bouffon », que j’ai fait avec Francis Porcel, c’est l’éditeur qui a voulu le sortir maintenant. Effectivement, j’ai donc trois albums qui sont sortis de manière quasiment simultanée en septembre mais par contre en octobre, il n’y aura quasiment plus rien.

On veut créer une saga familiale. On veut que les gens aient envie de savoir comment les personnages évoluent, un peu comme dans le film « Boyhood ».

Ces dernières années, on voit apparaître des dessinateurs espagnols très talentueux. Peut-on parler d’une véritable éclosion de la BD espagnole? Comment expliquer cette pépinière de talents? Il y a un vivier?

Lafebre: Oui, il y a un vivier! Je pense que c’est lié au fait qu’il y a une très bonne ambiance entre les dessinateurs espagnols, sans véritable concurrence. A un moment donné, j’étais dans un petit groupe de copains dessinateurs et on cherchait des scénarios pour pouvoir percer dans la BD franco-belge. J’avais eu un très bon contact avec Zidrou pour la BD « Lydie » et je l’ai conseillé à mes copains. Quand je leur ai dit qu’il livrait des scénarios complets qui se vendent bien et qu’en plus il parle Espagnol, ils ont trouvé que c’était le plan parfait! Du coup, on devient un petit gang qui travaille avec lui.

Zidrou: Je me rends compte que les dessinateurs espagnols ont une grande rigueur et que ce sont des gros bosseurs.

Lafebre: C’est étonnant que tant d’Espagnols veulent devenir dessinateurs, car c’est un marché assez petit au niveau de la BD. En rigolant, on dit parfois qu’en Espagne, il y a plus de dessinateurs que de lecteurs. Mais ça commence à changer.

Zidrou: Par rapport à il y a 10 ans, il y a beaucoup plus de BD franco-belges qui sont traduites. Avant, c’était impossible de trouver la collection complète de Gaston Lagaffe en Espagnol, par exemple. Maintenant, on trouve des belles intégrales. Et c’est vrai pour des tas d’autres séries.

Est-ce que vous pensez que les « Beaux étés » va être un succès?

Zidrou: Impossible à dire. J’ai eu des séries qui ont marché, d’autres pas. Peut-être que dans 5 ans, on sera au tome 6 et qu’on se rendra compte que ça ne fonctionne pas… Mais ce qui est bon signe, c’est que dès que j’ai eu fini d’écrire le tome 2, j’avais tout de suite envie de continuer!

Votre éditeur, il y croit dur comme fer, non?

Zidrou: Oui, je pense bien. C’est d’ailleurs amusant parce qu’à un moment donné, lors d’une réunion chez Dargaud, quelqu’un a fait remarquer que « Les Beaux étés » est la seule série de bande dessinée sur l’été. Du coup, ils ont proposé le slogan « la série qui sent bon les vacances ». Et c’est vrai que ça donne envie: tout le monde veut partir en vacances!

Lafebre: Ce qui est drôle, c’est qu’à la base on a voulu faire un truc très personnel. Mais finalement, sans perdre de vue notre objectif initial, qui était de faire une BD positive, on a peut-être trouvé quelque chose qui sera un succès commercial. Parfois, quand on veut trop faire un truc d’auteur, on risque de perdre son public. Ici, je crois que ce ne sera pas le cas.

Zidrou: Notre modèle, c’est Jacques Tati. « Les vacances de Monsieur Hulot », c’était du cinéma d’auteur, mais aussi un triomphe. Lorsqu’on parvient à combiner travail d’auteur et succès public, c’est génial.