Il était une fois un prince pas charmant

Bouffon

Bouffon (Francis Porcel – Zidrou – Editions Dargaud)

Attention: BD incontournable! Quelques mois après la sortie du « Rapport de Brodeck » de Manu Larcenet, voici un autre candidat très sérieux au titre de meilleur album de l’année 2015. « Bouffon », de Porcel et Zidrou, est un conte médiéval et fantastique sur un garçon difforme qui nait et grandit dans les geôles sordides d’un château et qui se retrouve, un peu par hasard, nommé bouffon d’une jeune noble aussi belle qu’inaccessible. Evidemment, il ne tarde pas à tomber éperdument amoureux de cette beauté au corps parfait et gracieux. Mais sans surprise, cet amour est totalement à sens unique: la belle Livia n’envisage pas un seul instant d’embrasser cet être tellement laid qu’on l’appelle Glaviot, un vieux mot français qui signifie « crachat ». Ironie du sort: c’est pourtant un baiser de Glaviot qui ramène la jolie fille du Comte à la vie lorsque celle-ci succombe à une méchante fièvre. Aussi incroyable que cela puisse paraître, cet être que personne ne veut embrasser s’avère en effet doté du pouvoir de ressusciter les femmes par ses baisers. Comme dans les contes de fées, si ce n’est que Glaviot n’a vraiment rien d’un prince charmant. D’ailleurs, pas une seule des femmes qu’il ramène à la vie accepte de lui rendre son baiser. Pire même: lorsqu’il demande à Livia de l’embrasser, celle-ci prend peur et le chasse du château…

Bouffon (extrait)

« Bouffon » est une fable cruelle véritablement ciselée par Zidrou, dont chacun des mots sonne parfaitement juste. Quelle riche idée, par exemple, d’avoir choisi comme narrateur un pauvre prisonnier coincé dans les geôles, permettant ainsi au scénariste de régaler les lecteurs avec des commentaires ironiques et désabusés sur le triste sort qui attend Glaviot. Quant au dessin de Francis Porcel, il est tout aussi remarquable, grâce notamment au contraste saisissant qu’il parvient à créer entre la noirceur des geôles et les couleurs vives des appartements de Livia. Marchant dans les traces de Juanjo Guarnido ou Jordi Lafebre, pour ne citer que ces deux-là, Porcel confirme la santé éclatante de la bande dessinée espagnole, qui produit des grands dessinateurs à la pelle depuis quelques années. Il y a deux ans, le duo Porcel-Zidrou nous avait déjà bluffés avec « Les Folies Bergère », un one-shot aussi apocalyptique que prenant sur la vie dans les tranchées durant la Première guerre mondiale (dont une réédition sort ce 28 août, le même jour que leur nouvel album). Avec « Bouffon », les deux hommes font encore plus fort et signent une BD qui peut d’ores et déjà être considérée comme un classique. En refermant ce livre, on a du mal à croire qu’il a été écrit par le papa de « L’élève Ducobu » et de « Tamara ». Décidément, Zidrou a plus d’un tour dans son sac!