Teaser Tuesday #63

« Elle a retiré ses lunettes pour les essuyer et j'ai regardé ses yeux. Ils étaient plissés comme sous l'effet d'un rayon de soleil trop fort. Au coin de l'œil droit, une petite larme traçait son chemin dans un réseau de minuscules rides, comme un filet d'eau dans le désert. Soudain, j'ai eu l'impression qu'une main invisible m'étranglait. Tout ce que j'ai trouvé à dire, c'est ce truc complètement nul : 
- Mais pourquoi ?
Dans ma tête, ça voulait dire : « Comment t'as chopé ça ? » Mais aussi : « Pourquoi toi et pas une autre ? » La maman d'Élodie qui fume comme un pompier, par exemple. La nouvelle femme de papa qui est pleine de silicone dans les seins, tiens. Mais, dans ma bouche, ça sonnait comme une question de bébé : « Pourquoi le ciel est bleu, pourquoi il pleut, pourquoi on a des cheveux, pourquoi la neige est froide, et pourquoi les gens meurent ? » Pourquoi, pourquoi, pourquoi ?
- Je ne sais pas. Ils n'ont pas pu me dire. Ils disent que c'est un ensemble de facteurs. Je crois surtout que c'est la faute à pas-de-chance...
Elle a remis ses lunettes et m'a pris la main entre les deux siennes avant de m'annoncer d'un ton presque enjoué :
- Enfin, voilà, je suis malade. Mais j'ai bien l'intention de guérir, tu sais ! »

Ma mère, le crabe et moi - Anne Percin (Rouergue, 2015)

ma mère

Tania, 14 ans, apprend que sa mère est atteinte d'un cancer du sein. Je vois d'ici votre mine apeurée à l'évocation de la maladie, mais inutile de craindre les violons et les pleureuses en coulisses car l'histoire se révèle étonnante d'humour et d'optimisme. Comme un pied-de-nez au destin. Et c'est tant mieux (y'en a marre de ces bouquins qui nous font pleurnicher exprès). Anne Percin a choisi pour narratrice une ado crâneuse et caustique, qui aime tourner le monde en dérision et se blinde derrière les sarcasmes pour encaisser l'onde de choc et soutenir du mieux qu'elle peut sa maman dans son combat (la chimio, les nausées, les gros coups de pompe, la perte des cheveux, le désespoir et l'isolement). On ne va pas se mentir - Tania est naturellement morte de trouille mais refuse de baisser les bras. Elle se lance alors pour défi de rejoindre l'équipe de cross du collège - elle qui a longtemps considérait que l'EPS signifiait « ensemble de pratiques sadiques » - et va exorciser sa frustration et sa colère sur la piste de course.

Le roman est court (127 pages), mais livre avec justesse, sensibilité, tendresse et fantaisie deux parcours de combattantes, en clin d'œil aux mythiques amazones, et dessine une relation mère / fille attachante et riche en complicité. L'histoire fait fi des clichés et du pathos, grâce au choix de dédramatiser la maladie, sans en négliger l'aspect barbare et médical. Un parfait équilibre entre prévention et émotion. ♥

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