L'illusion délirante d'être aimé de Florence Noiville aux éditions Stock (Rentrée littéraire 2015)
Laura Wilmote est animatrice d'une émission sur une chaîne culturelle. Cette femme par ailleurs avare de mots, tant elle les aime, se réalise pleinement dans son métier. Elle est experte dans l'art de l'interview. Elle parvient à se glisser dans la personnalité de ses invités et à leur faire révéler des parcelles d'eux-mêmes. Elle file le parfait amour avec Eduardo, un homme d'affaires mexicain. Le jour où elle retrouve C., son ancienne amie de prépa, un grain de sable va venir s'immiscer dans l'engrenage jusque là sans ratés de son existence.
La première alerte a lieu quand C. s'est présenté devant elle habillée comme elle en lui disant : "Je me suis habillée en toi". Lisa comprend vite que quelque chose ne va pas chez son amie. C. se fait de plus en plus présente, envahissante, elle annexe petit à petit toutes les parties de sa vie. Au travail d'abord, puis dans la sphère amicale et familiale. Lisa parle de ses doutes à PH, un psychiatre. Il lui fait découvrir le syndrome de Clérambault, pathologie mise en lumière par le professeur du même nom. Clérambault l'appelait aussi l'illusion d'être aimé. PH lui conseille de prendre ses distances avec C., car de cette maladie on ne guérit pas, les symptômes ne font que s'accentuer. Pourtant Lisa décide de passer outre ses avertissements. Le sujet passionne la romancière qu'elle est par ailleurs.
"Dans mon carnet à élastique noir, je recopie cette formule : Illusion Délirante d'Être Aimé. IDEA. Idée. Fixe. Inextirpable. Je joue avec ces lettres comme au Scrabble. IDEA. Incompréhension. Destruction. Exaspération. Angoisse... Impuissance Dépossession Emprise Aliénation... Et dans le même temps chez moi : Intérêt (intellectuel). Désir (d'en savoir plus), Enthousiasme (de tenir un bon sujet). Ambiguïté (vais-je m'y brûler les ailes?). Bref, Impression Déraisonnable d'Être Ailleurs (au-dessus du danger)."
L'emprise de C. sur Lisa s'accentue en effet. D'appels téléphoniques en harcèlement constant, C. va prendre toute la place dans la vie de la narratrice. L'obsession de C. contamine Lisa. Elle ne parvient plus à penser à autre chose qu'à la mainmise que C. a sur elle. Lisa se sent dépossédée d'elle-même.
C'est bien à une descende aux enfers que nous assistons. Lisa en ne respectant pas les conseils de PH, donne du grain à moudre à l'illusion de C.. Elle se sent d'ailleurs un peu coupable, ne l'aurait-elle pas encouragée dans son délire ? Lisa est peu à peu chassée de sa propre vie par cette prédatrice.
"Reprendre mes esprits. J'essaie de m'expliquer - pour mieux lui expliquer? -ce qui dans le comportement de C., me cause une telle angoisse. Luc a peut-être mis le doigt sur le fond du malaise : l'idée d'être exproprié(e) de soi-même, mis(e) hors de soi. Pensé(e) par autrui."
L"illusion délirante d'être aimé nous immerge dans le syndrome de Clérambault. Ce roman nous en explique les rouages, les effets qu'il a sur l'objet (la victime, Lisa) mais aussi sur la malade, C. La descente aux enfers de Lisa est parfaitement rendue, le rythme du texte est vif, la succession de très courts paragraphes renforce cette impression de chaos, de désordre dans la vie de Lisa. Une vie hantée par C.. Un roman passionnant, glaçant. Avec ce livre, j'ai découvert avec beaucoup de plaisir la plume de Florence Noiville.
"Le désordre des êtres est il vraiment dans l'ordre des choses ? De grands malades vivent parmi nous. Des psychotiques qui ne se contentent pas d'être fous mais feignent d'être normaux. Pour le commun des mortels, ceux qui n'en sont pas victimes, aucun symptôme n'est perceptible. Nous côtoyons ces désaxés sans y prendre garde. Il arrive qu'ils exercent des responsabilités. Il arrive même que nous les trouvions sympathiques. Jusque au jour où tout se détraque."