Corto Maltese: le retour d’un sex-symbol

Sous le soleil de minuit

Sous le soleil de minuit (Ruben Pellejero – Juan Diaz Canales – Editions Casterman)

C’est l’événement BD de la rentrée. Pile 20 ans après la mort de son créateur, l’Italien Hugo Pratt, Corto Maltese est de retour dans une nouvelle aventure intitulée « Sous le soleil de minuit ». Pourquoi ce come-back fait-il tant de bruit? Tout simplement parce que Corto est un personnage mythique, une véritable icône. Avec son look reconnaissable entre mille (casquette de marin, boucle d’oreille et favoris), il est l’un des rares sex-symbols de la bande dessinée. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard s’il a un temps servi de modèle pour le parfum « Eau sauvage » de Christian Dior. Apparu pour la première fois en 1967 dans l’album « La ballade de la mer salée », Corto Maltese est un personnage énigmatique, insaisissable même, à la fois aventurier, philosophe, séducteur et humaniste. Corto Maltese, c’est en quelque sorte le double de papier d’Hugo Pratt, qui a fait voyager son personnage de BD sur les traces de sa propre existence, que ce soit à Venise, en Argentine, en Sibérie, ou en Ethiopie. Corto Maltese, c’est un nom qui fait rêver tous les amateurs d’évasion et d’aventure. C’est aussi une série tout à fait hors-normes, qui ne ressemble à aucune autre, avec un côté très intello et érudit. Autrement dit, le défi à relever par Juan Diaz Canales et Ruben Pellejero était énorme: certes, les deux auteurs espagnols sont loin d’être des débutants (Diaz Canales est notamment le scénariste de « Blacksad »), mais reprendre un univers aussi singulier que celui de Hugo Pratt semblait a priori mission impossible. « J’ai d’abord cru que c’était une blague, avant de comprendre que ce projet était sérieux », dit Ruben Pellejero, le dessinateur, qui affirme n’avoir pas cherché à imiter le style de Pratt. « Reproduire la magie de son dessin, c’était trop difficile. J’ai préféré opérer un mélange de différentes époques, et rester fidèle à l’esprit de Pratt avant tout ». Le discours est le même du côté du scénariste, passionné depuis toujours par Corto Maltese. « Notre but était de retrouver l’ambiance, la poésie de Corto. Sans oublier pour autant que nous sommes, nous aussi, des auteurs, avec des choses à apporter », explique Juan Diaz Canales.

Sous le soleil de minuit (extrait)

« Sous le soleil de minuit », dont l’action se déroule juste après « La ballade de la mer salée », soit en 1915, s’ouvre sur une scène de rêve dans laquelle Raspoutine, l’éternel ami-ennemi de Corto Maltese, se retrouve en bien mauvaise posture. Une fois sorti de sa rêverie, le marin vénitien décide de quitter Panama pour San Francisco, où il espère retrouver l’écrivain Jack London. Celui-ci n’y est plus, mais il a laissé à Corto une lettre dans laquelle il lui demande de bien vouloir porter un message à Waka Yamada, une ancienne star de saloon militant désormais contre la traite des blanches en Alaska. Arrivé là-bas, Corto va rapidement se rendre compte que le Grand Nord est décidément très peuplé, puisqu’il va y croiser des prostituées en révolte, un chef de tribu inuit qui se prend pour Robespierre, des patriotes irlandais, un scientifique particulièrement désagréable en quête de pétrole, ainsi que Matthew Henson, l’un des premiers hommes à avoir atteint le pôle Nord, mais dont l’Histoire a oublié le nom car il était noir… Au passage, Corto va affronter de nombreux dangers, sans jamais se départir de son flegme et de son sens de la formule. Un exemple: « Commander, ça n’a jamais été mon truc. Je me contente de savoir naviguer ». Reconnaissons-le: il faut un peu de temps avant de parvenir à se plonger complètement dans ce Corto Maltese nouvelle mouture. Mais au final, il s’avère très efficace. Presque plus qu’un « vrai » Corto Maltese finalement. Il est vrai que tous les ingrédients sont réunis : le décor, les personnages historiques, et même ce détachement très romantique de Corto, qui se comporte toujours s’il était au-dessus de la folie des hommes. Le scénario de Diaz Canales tient clairement la route, même s’il lui manque sans doute ce petit supplément d’âme qui faisait toute la magie des albums de Hugo Pratt. Quant aux dessins de Ruben Pellejero, ils sont superbes. Rien à redire. Reste qu’on peut se poser la même question que pour Blake et Mortimer: à quoi bon faire une reprise à ce point fidèle à l’oeuvre originale, empêchant du même coup une véritable réappropriation de la série par ses nouveaux auteurs ? A ce titre, il est intéressant de noter qu’il y a eu un autre projet de reprise de Corto Maltese par le duo Joann Sfar et Christophe Blain. Un projet qui n’a hélas pas abouti, mais qui aurait certainement donné un résultat très différent.