Le jeune Souleymane et sa famille débarquent au Québec sans mode d'emploi, avec dix sac et valises. Le Sénégal est maintenant derrière eux. Après un court passage dans un hôtel près de l'aéroport, ils échouent dans un quatre et demi à Villeray, puis dans un six et demi avec sous-sol dans Rosemont-La Petite-Patrie. Pas question d'habiter à Parc-Extension et de se ghettoïser. La famille Gueye veut «devenir d'ici», «se fondre dans le Canada des Québécois».Pour Bibi, le grand frère, l'adaptation se fait les doigts dans le nez. Le sport lui ouvre toutes les portes. Pour P'pa, l'adaptation est plus ardue. Après des semaines de recherches d'emploi qui ne mènent nulle part, il se barricade dans le sous-sol de l'appartement, déprime, sort une pelle et creuse. Il émigrait pour progresser, se réaliser. Mais c'est un mur qu'il frappe. Selon Mère, il a reçu un mauvais sort, a été marabouté. Après cinq mois à creuser son trou, P'pa part en ambulance, drapé et ligoté. Il est interné à Louis-Hippolyte Lafontaine pour dépression majeure et troubles psychotiques du comportement. Le rêve de la terre promise vire au cauchemar. Le reste de la famille doit s'arranger. C'est au tour de la mère de devenir le socle de la famille. Mère, c'est une battante qui fait face, une épreuve à la fois.Souleymane s'adapte. Il observe. Il écoute. Heureusement qu'il y a Charlotte, la voisine d'en face. C'est depuis qu'il l'a rencontrée qu'il se fait appeler Soleil. Parce que c'est comme ça qu'elle l'appelle, Charlotte. Pauvre gamine… Sa vie est un orage sans fin. Une vie de poquée. En plus d'avoir les deux yeux dans le même trou et de ne pas avoir de père, elle doit s'occuper de sa mère dépressive et alcoolique, sans quoi elle risque de la perdre et de se faire ramasser par les services sociaux.Depuis qu'elle est née, elle a seulement découvert sa différence et sa solitude. Elle est comme une petite immigrante ici, bloquée à la ville, prise au piège de sa vie, prise au piège de sa mère, attendant que les jours se succèdent et se ressemblent. Elle aussi, elle avance sur un tapis de gym.Entre l'école et les visites à l'hôpital psychiatrique, entre la télé et les heures passées avec Charlotte, Soleil vit son choc des cultures. Il découvre le Québec, son environnement, ses valeurs et ses drôles de coutumes. Il découvre aussi les particularités de sa langue.Je passais pour un étrange étranger, parce que j'avais des mots comme «trébucher» ou «essencerie», et eux autres, ils avaient «s'enfarger» ou «station de gaz», et quand pour moi c'est «gâté», pour eux, c'est «magané». Quand je dis «gomme», ils disent «efface», quand ils disent «gomme», je dis «chewing-gum», «ennuyeux», c'est «plate», et «la poubelle», c'est «les vidanges», etc. Ils disent aussi «j'ai tout'fait mon travail», ou «t'es ben cute», ou «on a parlé ded'ça». Pour moi, c'étaient eux qui avaient des problèmes de langue.Malgré les embûches, Soleil et sa famille prendront racine au Québec, un pas à la fois. Parce qu'il faut bien aller de l'avant...
Le jeune Souleymane et sa famille débarquent au Québec sans mode d'emploi, avec dix sac et valises. Le Sénégal est maintenant derrière eux. Après un court passage dans un hôtel près de l'aéroport, ils échouent dans un quatre et demi à Villeray, puis dans un six et demi avec sous-sol dans Rosemont-La Petite-Patrie. Pas question d'habiter à Parc-Extension et de se ghettoïser. La famille Gueye veut «devenir d'ici», «se fondre dans le Canada des Québécois».Pour Bibi, le grand frère, l'adaptation se fait les doigts dans le nez. Le sport lui ouvre toutes les portes. Pour P'pa, l'adaptation est plus ardue. Après des semaines de recherches d'emploi qui ne mènent nulle part, il se barricade dans le sous-sol de l'appartement, déprime, sort une pelle et creuse. Il émigrait pour progresser, se réaliser. Mais c'est un mur qu'il frappe. Selon Mère, il a reçu un mauvais sort, a été marabouté. Après cinq mois à creuser son trou, P'pa part en ambulance, drapé et ligoté. Il est interné à Louis-Hippolyte Lafontaine pour dépression majeure et troubles psychotiques du comportement. Le rêve de la terre promise vire au cauchemar. Le reste de la famille doit s'arranger. C'est au tour de la mère de devenir le socle de la famille. Mère, c'est une battante qui fait face, une épreuve à la fois.Souleymane s'adapte. Il observe. Il écoute. Heureusement qu'il y a Charlotte, la voisine d'en face. C'est depuis qu'il l'a rencontrée qu'il se fait appeler Soleil. Parce que c'est comme ça qu'elle l'appelle, Charlotte. Pauvre gamine… Sa vie est un orage sans fin. Une vie de poquée. En plus d'avoir les deux yeux dans le même trou et de ne pas avoir de père, elle doit s'occuper de sa mère dépressive et alcoolique, sans quoi elle risque de la perdre et de se faire ramasser par les services sociaux.Depuis qu'elle est née, elle a seulement découvert sa différence et sa solitude. Elle est comme une petite immigrante ici, bloquée à la ville, prise au piège de sa vie, prise au piège de sa mère, attendant que les jours se succèdent et se ressemblent. Elle aussi, elle avance sur un tapis de gym.Entre l'école et les visites à l'hôpital psychiatrique, entre la télé et les heures passées avec Charlotte, Soleil vit son choc des cultures. Il découvre le Québec, son environnement, ses valeurs et ses drôles de coutumes. Il découvre aussi les particularités de sa langue.Je passais pour un étrange étranger, parce que j'avais des mots comme «trébucher» ou «essencerie», et eux autres, ils avaient «s'enfarger» ou «station de gaz», et quand pour moi c'est «gâté», pour eux, c'est «magané». Quand je dis «gomme», ils disent «efface», quand ils disent «gomme», je dis «chewing-gum», «ennuyeux», c'est «plate», et «la poubelle», c'est «les vidanges», etc. Ils disent aussi «j'ai tout'fait mon travail», ou «t'es ben cute», ou «on a parlé ded'ça». Pour moi, c'étaient eux qui avaient des problèmes de langue.Malgré les embûches, Soleil et sa famille prendront racine au Québec, un pas à la fois. Parce qu'il faut bien aller de l'avant...