Croyez bien que si je me suis mis à haïr celui qui fut mon patron ce n’est pas pour
Ce Rat riche en argent et en bêtises diverses fait partie des notables de la ville : il est de toutes les associations pour bien se mettre en valeur, il joue au golf qui n’est plus un sport, mais un passe-temps pour affairistes soucieux de conquérir de nouveaux marchés. Il se présentera bientôt à un poste électif pour le bien de sa communauté. Il peut tout faire, tout inventer pourvu qu’on le voit, qu’on le perçoive comme un altruiste. Alors je le hais et je ne m’en lasse pas.
Je serais heureux s’il perdait sa petite famille toute propre et exemplaire ; je me flatterais de le salir pour qu’il se retrouve dans la boue en train de regretter le bon temps où il fréquentait tout ce qui compte. J’ai déjà rêvé de faire sauter sa propriété avec une bombe pernicieuse qui n’aurait rien épargné. Il n’est pas dit que je ne parviendrai pas à clore le bec à ma bonne âme et que je n’agirai pas un jour, sans plus me soucier de paraître devant un tribunal.
Pour que je le haïsse ainsi, il aura fallu qu’il me brisât, qu’il me fît subir les pires sévices. Vous n’y êtes pas. Je le hais parce qu’il est ; parce que ses sous lui donnent tous les droits, celui de mal payer ses employés, de les regarder de haut, de sous-estimer leurs mérites, d’imposer sa loi puisqu’il est le patron, le possesseur des capitaux, le maître in partibus de la planète entière.
Je le vois au volant de sa voiture allemande, bien gras, tenant en main son téléphone portable, réglant ses affaires, empli de sa suffisance de capitaliste. Son sourire est une afféterie, ses manières sont des traquenards, ses intentions macèrent dans un poison virulent, sa vie elle-même est une offrande à l’hypocrisie et à son unique suffisance. Tout chez lui n’a de but que de le satisfaire ; l’argent le soutient dans ses projets ; les êtres sont des échelons auxquels il s’agrippe pour monter. J’ai le devoir de le haïr pour prévenir tous ceux qui pourraient tomber dans ses pattes ou qui seraient disposés à se laisser croquer pour avoir part du gâteau social.
J’aime le voir marcher par les rues de la ville. Il salue ceux qui ont un nom, et que ceux-là ; il est bien vêtu, de Cachemire, de cuir, de soie ; il ne boit que de grands vins à lui conseillés par des pingouins d’établissements impeccables ; il mange les steaks les plus tendres même s’il a des dents de carnassiers ; il connaît les meilleurs spécialistes dans tous les domaines pour soigner sa noble personne si essentielle à la bonne marche de l’humanité entière. Il se gâte puisqu’il a su voler proprement grâce aux soins d’avocats habiles. Il n’est que ce qu’il a accumulé ; il n’est que ce qu’il dérobe à
Je le verrais volontiers attaché à un poteau, nu dans le froid ou la chaleur torride, criant sa peine, demandant pardon, mourant à petit feu sans que personne ne s’en soucie. Ses chairs grasses attireraient les vautours qui en déchireraient des parts immondes ; parfois une hyène viendrait croquer un morceau charnu pour se rassasier et, repue, attendrait les appels de la faim pour revenir à l’assaut.
Folle imagination ? Qui n’a point été tenu par un tel rêve n’a pas subi les désirs d’un patron maître avant Dieu de toute la création. Ou qui l’a été et ne veut le reconnaître mérite de souffrir encore pour être enfin convaincu.
Notice biographique
(Une invitation à visiter le jumeau du Chat Qui Louche : https://maykan2.wordpress.com/ )