Le ciel est partout fut pour moi une lecture yo-yo. Je me suis fait des réflexions comme " GROUMPF ! C'est incohérent. " et " BWAHAHAH ! C'est bien vu. " Aussi, Jandy Nelson, je te garde une place spéciale sur mon étagère. Toi, ta voix d'auteur m'a beaucoup, beaucoup plu, mais alors mollo sur les bêtises, hein. Je te surveille.
C'est l'histoire de Lennie, lycéenne clarinettiste accomplie, foldingo des Hauts de Hurlevent, amie avec la plus excentriques des féministes, ayant grandi dans une ville à l'héritage hippie si marqué que son prénom, Lennon (pour John Lennon) n'est pas du tout le plus étrange du quartier.
Quand ? Un an après la mort de sa sœur aînée, avec qui elle entretenait une relation fusionnelle (si fusionnelle qu'elle en oubliait d'exister en tant que personne, mais ça, il lui faudra du temps pour le réaliser).
Où ? En cours de musique, quand Joe Fontaine le charmant petit nouveau, franco-américain, aux longs cils de pub Maybeline, joue un solo de saxophone est fait exploser son petit cœur fragilement recollé au scotch.
C'est l'histoire d'une fille timide, ultra imaginative, et complètement paumée, qui se demande si elle a le droit de tomber amoureuse au moment où elle devrait faire son deuil, qui ne comprend pas comment son corps peut la trahir ainsi avec des pulsions hormonales intempestives, alors même qu'elle devrait enfin accepter d'empaqueter les affaires de sa sœur qui traînent dans sa chambre depuis des mois et s'occuper de sa grand-mère qui dépérit de tristesse, et réfléchir à son avenir, et, et, et...
Pourquoi faut-il lire son histoire ? Parce qu'elle est fantaisiste et expiatoire, comme un attrape-rêve qui serait fait de Dragibus. Comme un lampion qui s'envole dans la nuit.
Les plus :
- Le style, le ton, et l'univers de l'auteur sont l'atout remarquable de ce roman. Jandy Nelson a beaucoup d'humour, mais pas seulement. Elle a surtout un imaginaire de conte, riche en légendes, coïncidences et superstitions, qui sous-tendent les personnalités de ces héros. Par exemple, le roman s'ouvre sur l'examen médical d'une plante en pot dont la santé est, la grand-mère de Lennie en est persuadée, liée depuis toujours à celle de Lennie. On flirte avec le réalisme magique sans y tomber, et c'est délicieux.
- Les personnages ont tous une personnalité délirante et attachante. Je ne sais pas si c'est que cette ville américaine n'a pas bien géré le virage de la sortie des années 70 et que tout le monde est encore sous acide, mais vraiment, c'est Luna Lovegood rencontre la Famille Adams, en terme de caractérisation.
- Plus simplement, la langue est colorée comme du Desigual, et si c'est douloureusement aveuglant sur un vêtement, c'est absolument génial dans un roman.
- Des réflexions intéressantes sur la façon dont se construit une personnalité. Naît-on avec le gène de l'explorateur, incapable de fixer son affection quelque part ? Celui du sidekick qui ne sera jamais le héros de sa propre histoire mais toujours un figurant dans celle des autres ? Le roman explore assez finement cette thématique, ce qui permet à Lennie de se réaliser.
-
Des faiblesses conceptuelles. Autant, l'auteur écrit de très belles choses sur le deuil, sur combien la reconstruction suite à une perte passe par le vide, la violence et l'absurde, et parfois tout ça en même temps... Autant, la caractérisation de Lennie, qui s'appuie notamment (dès les premières pages, je ne vous spoile rien) sur son INTENSE désir sexuel qui se manifeste de façon impromptue dans des moments aussi adaptés que lors de l'enterrement de sa sœur (*soupir*) m'ont fait physiquement écarter le livre de moi, horrifiée.
Alors, pour information, à tous mes petits choux auxquels ce n'est jamais arrivé, il est absolument impossible, hormones ou pas, d'avoir ce genre de pensée à l'enterrement d'un être cher. Peut-être ce passage m'a-t-il particulièrement choquée parce que j'ai perdu ma grand-mère il y a un an (et encore, ce n'était pas, comme dans le roman, masœur quasi jumelle avec qui je partageais tout). Certains ressorts émotionnels (or lack thereof) m'ont semblé totalement incohérents. - Des facilités scénaristiques. Sérieusement, les longs épisodes d'angoisse et de rejet des personnages amoureux qui tiennent simplement sur le fait qu'ils refusent de communiquer, ça commençait déjà à s'épuiser dans les années 90. IL FAUT CESSER. (Note : L'auteur use, mais n'abuse pas de ce procédé.)
- Des clichés : OH LÀ LÀ ! Bon, ça, c'était surtout drôle, en fait. Car le garçon pour lequel bat le petit cœur de Lennie, Joe Fontaine, est d'une mère américaine et d'un père français, et alors là mon vieux, on va vous servir tous les clichés romantiques et comportementaux sur les français ! Les croissants, la musique d'Edith Piaf, le vin rouge, les femmes fatales, les petits mots de français glissés dans la narration (et parfois utilisés maladroitement)... Bref, la France vu par les américains.
C'est un roman très original dans son style, qui a une personnalité à la fois délurée, passionnée et poétique. Une personnalité qui le fait sortir du lot des romances Young-Adult (parfois très bonnes !) racontées dans un style américain moderne uniforme.
Jandy Nelson a une véritable voix d'auteur à laquelle je vous recommande de donner sa chance (que ce soit avec ce roman, son premier, ou bien avec Le soleil est pour toi, son second, dont on m'a dit du bien et du mal mais qui a le mérite de faire vivre des personnages extravagants dans un univers bien personnel, lui aussi).
Bonne lecture,Lupiot
Le ciel est partout, de Jandy Nelson, chez Gallimard Jeunesse, 2010, 336 pages