La colère du Grand Coësre.

Voilà un titre qui sonne super bien, en tout cas je trouve. Le hic, c'est que je ne vous l'expliquerai sans doute pas dans le courant de ce billet... Oui, je sais, c'est nul, mais c'est moi qui commande ici ! Il va pourtant y avoir beaucoup à dire sur le premier volet d'une série de polars qui vient de voir son troisième tome rejoindre les rayons des librairies (eh oui, j'ai du retard, c'est ainsi... Et c'est toujours moi qui commande !). Une série mettant en scène des flics de quartier, dans le XIIe arrondissement de Paris, celui de la Bastille, de la gare de Lyon et de l'Institut Médico-Légal, entre autres. Dans "l'heure des fous", publié en poche chez Marabout, maison qui publie peu de fictions, Nicolas Lebel nous présente son équipe de choc, un groupe qu'on peut faire difficilement plus hétéroclite... A moins qu'ils ne soient complémentaires, allez savoir. Mais, il nous propose surtout une intrigue passionnante qui nous entraîne dans les recoins les plus sombres de la capitale et s'intéresse à des sujets de société qui, on le voit encore ces derniers jours, sont omniprésents dans une France en crise...
La colère du Grand Coësre.
Fin d'été dans le XIIe arrondissement, une matinée comme les autres. Au commissariat, l'équipe du capitaine Mehrlicht se voit confier une affaire de meurtre. Un corps retrouvé près des voies, en amont de la gare de Lyon. Une histoire qui a tout d'un règlement de comptes entre SDF, d'après ce qu'ont déclaré les témoins.
La victime était accompagnée par trois autres personnes, quand ils ont été repérés. L'homme a alors été poignardé par ses compagnons qui ont ensuite pris la fuite. La description des fugitifs n'apporte aucun indice viable, quant au mort, il n'a aucun papier sur lui, rien qui puisse permettre de l'identifier rapidement, en tout cas...
Un vrai cadeau empoisonné, d'autant que le supérieur de Mehrlicht, le capitaine Matiblout, ambitieux et docile vis-à-vis du pouvoir, surtout s'il est à droite, leur met la pression. En gros, pas de temps à perdre avec ces histoires-là, que ce soit vite bouclé et qu'on n'en parle plus ! Le hic, c'est que cette histoire va s'avérer bien plus complexe et embarrassante que cela...
Mehrlicht et son équipe vont se montrer efficace, un vrai travail de terrain et de proximité qui va porter ses fruits. Ils vont apprendre quelques éléments intéressants sur la victime, aperçu les jours précédant sa mort par plusieurs témoins. Mais, c'est son identité qui va vraiment donner une nouvelle dimension à l'histoire...
Ah, ah, non, je ne vais pas en dire plus sur le nom et la fonction de l'homme tué gare de Lyon. Juste vous dire que cette disparition va faire courir un frisson désagréable d'un bout à l'autre de la hiérarchie policière. Un SDF trucidé, passe encore, mais là, on commence à sortir les parapluies... L'affaire s'annonçait déjà pénible, il va falloir redoubler d'efforts, tout en marchant sur des oeufs...
A ce point du billet, il nous faut évoquer les policiers qui travaillent sur cette affaire. En commençant par le seul que j'ai déjà nommé : le capitaine Mehrlicht. Un vieux de la vieille, un flic à l'ancienne, un peu gris et poussiéreux, fumant comme toutes les casernes de pompiers de Paris réunies et jurant plus souvent que toute la marine marchande du pays.
Mehrlicht, on le croirait sorti tout droit d'un roman d'Albert Simonin ou d'un film en noir et blanc dialogué par Audiard. Je cite le célèbre dialoguiste en toute connaissance de cause, le capitaine en est fan et, dans son sillage, il y a toujours une citation de lui qui traîne (une vraie trouvaille, un running gag très bien élaboré, là encore, je n'en dis pas plus).
Mais, tout cela rend ce personnage, un tantinet irascible, éternellement renfrogné, difficile d'accès. C'est un chef, et il le fait savoir, quitte à martyriser les uns après les autres les officiers stagiaires qu'on envoie s'aguerrir auprès de son groupe. Un sacré bon flic, à l'instinct sûr et à la culture impressionnante (le commissariat le surnomme Google), mais, de prime abord, tout du moins, pas le mec le plus sympathique au monde...
A ses côtés, on trouve le lieutenant Dossantos. Un cas, celui-là. Le genre baraqué comme une armoire normande, nourri aux protéines et en plein air, sculptant son corps en pratiquant toute la gamme des sports de combat disponibles sur la place de Paris... Et un intello, aussi. Enfin, euh, pas tout à fait, pour être franc...
Dossantos, dont le culture se résume surtout aux séries télévisées américaines, n'a sans doute ouvert qu'un seul livre dans toute sa vie : le code pénal. Au point de le connaître par coeur et de le citer en toutes circonstances. Un fanatique de la loi, qui entend l'appliquer à la lettre, quelles que soient les situations. Plutôt un disciple de Charles Bronson que de Montesquieu...
Il est certain que, comme Mehrlicht, Dossantos n'apparaît pas toujours sous son meilleur jour. Entre sa rigidité face à la loi et ceux qui l'enfreignent et des idées qui n'en font pas un chantre de la démocratie en marche, il a de quoi agacer. Mais, le colosse a un coeur d'argile, aussi. Il veut toujours bien faire, avec la maladresse de l'éléphant dans le magasin de porcelaine et la bonne volonté de Harry, l'ami qui vous veut du bien...
Sophie Latour est également lieutenant, avec un peu moins d'ancienneté que Dossantos. Elle est aussi la seule femme de ce groupe où il ne doit pas être facile tous les jours de ne pas être un mec, un vrai... Mais, la demoiselle a son petit caractère et sait se faire respecter. Et puis, elle ronge son frein, lorsqu'on lui confie les tâches subalternes, en attendant de faire ses preuves.
Bien plus maligne que son collègue du même grade, elle porte un regard bien différent sur son boulot. Elle se montre bien plus proche des victimes, apportant compassion et réconfort, ce que Mehrlicht a un peu de mal à accepter. Elle est aussi plus pragmatique face aux personnes qu'elle côtoie, témoins ou suspects, qu'elle aborde de façon moins virulente et moins partiale que les deux autres.
Et puis, elle a ses petits secrets. Ah, non, vous ne m'aurez pas, je ne vous dis rien non plus à ce sujet, je l'évoque, rien de plus. Histoire de dire qu'elle est, par rapport à Dossantos, comme le revers d'une même médaille, mais aussi une espèce de poil à gratter pour son supérieur, qui doit certainement encore se demander pourquoi on a accepté des femmes dans la police.
Enfin, petit dernier, le fameux stagiaire ! Le lieutenant stagiaire Ménard est le dernier en date des souffre-douleur de Mehrlicht, mais lui, malgré tout, s'accroche. Il en prend plein la figure, le pauvre, avec un chef qui n'est pas un pédagogue et ne se cache pas pour le faire savoir. Mais la volonté de Ménard de devenir flic est plus forte que cela et, lors de cette enquête, il va apprendre énormément. Mieux qu'un examen de passage !
Voilà rapidement esquissé le portrait des personnages principaux qui vont vous accompagner. Il y a quelque chose dans la manière dont le trait est gentiment forcé (je lis ici ou là qu'on parle de caricatures, je trouve le mot un peu fort) qui m'a fait penser à des personnages de bande dessinée. Mehrlicht et Dossantos, en particulier, sont des moteurs autant que des ressorts comiques.
Plus sage, Latour et Ménard viennent contrebalancer les excès de leurs deux acolytes, comme le nuage de lait qui vient atténuer l'amertume du café noir. Il y a, entre ces quatre personnalités tellement différentes, une espèce d'équilibre qui se crée et qui leur permet d'avancer dans leur enquête. Un équilibre savant, qu'un rien peut venir renverser, mais qui tient bon.
Parlons maintenant du contexte de l'enquête. Là encore, il va falloir avancer avec délicatesse, pour ne pas trop en dire. Soyez prévenus, ô pointilleux lecteurs allergiques aux spoilers, il se pourrait que j'en dise plus que vous ne le souhaitez dans les lignes qui viennent. Entrez ici à vos risques et périls, ou alors, patientez quelques paragraphes...
Si la victime dont la découverte, près de la gare de Lyon, lance l'enquête n'est pas vraiment un SDF, je n'en dis pas plus, en revanche, c'est bien vers cette population en marge de la société que Mehrlicht et son équipe vont se diriger dans un premier temps. Avec des découvertes à la fois effrayantes et passionnantes.
Nicolas Lebel emmène ses personnages, et le lecteur avec eux, dans un endroit sidérant, qu'on croirait sorti d'un autre âge : "la Jungle". Une ville dans la ville, ou plutôt, un royaume en plein coeur de la République et de sa capitale. Une société organisée selon des codes précis où se retrouvent ceux qui ont été laissé sur le chemin de la croissance (enfin, surtout, de la récession)...
On se croirait revenu au temps du baron Haussmann et de Napoléon III, lorsque Paris fit sa mue et que les quartiers les plus pauvres furent rasés, obligeant les populations les plus modestes à s'installer à la périphérie immédiate, dans ce qui s'appellera la Zone... Cet ensemble aussi avait établi ses propres règles, ses propres lois, comme la jungle du roman de Lebel.
Mais, le plus frappant, dans ce lieu, qui sera le premier d'une visite guidée dans un Paris alternatif, loin des lumières touristiques qui brillent à travers le monde, c'est qu'on y croise aussi des personnes qui travaillent, qui sont parfaitement intégrées à la société qui a rejeté leurs compagnons d'infortune, mais ne réussissent pas à joindre les deux bouts malgré tout et se retrouvent à la rue. La triste réalité actuelle...
Les thématiques liées à la pauvreté extrême sont très présentes dans le roman et sous-tendent en grande partie l'intrigue de l'heure des fous. J'ai déjà évoqué le passé, en parlant de Napoléon III, auteur, avant de devenir président de la République puis Empereur, d'un ouvrage intitulé "l'extinction du paupérisme, mais d'autres images viennent en tête.
Des impressions qui renvoient plus loin dans le temps, dans les décennies qui précédèrent la Révolution ou encore, carrément, au Moyen-Âge. Un passé qui se répète, sinistre, époque après époque, et nourrit les colères, nourrit les ressentiments, nourrit les haines et les extrémismes, par la même occasion...
Restons-en là de cet aspect, mais, sous la légèreté apparente de la narration, Nicolas Lebel utilise ces sujets dramatiques avec habileté pour construire son intrigue, qui va prendre du volume au fil des découvertes, jusqu'à un final haletant en forme de course contre la montre. On tourne les pages, avide de comprendre, de savoir comment tout cela va se terminer, redoutant le pire...
Si je ne m'abuse, "l'heure des fous" n'est pas seulement le premier volet d'une série, mais aussi le premier roman de son auteur et, avec ce polar qui n'engendre pas la mélancolie tout en abordant des questions graves, Nicolas Lebel s'est constitué un lectorat qui lui sera certainement fidèle. Car, même imparfait, agaçants, casse-pieds, ses personnages sont attachants et l'on a envie de les retrouver.
Ce sera l'occasion d'approfondir leurs caractères, mais aussi, forcément, de les voir évoluer, apprendre les uns des autres, et pas seulement sur le plan professionnel. En tout cas, je le souhaite ainsi, et il est certain que j'aborderai "le jour des morts", le prochain volet de cette série, avec curiosité et enthousiasme. Tout