Assise par terre à côté d'elle, entourée de ses jouets - ses pingouins, Leopardy le léopard en peluche, et la Poupée manchote -, je lui raconte tout. Les paroles se bousculent dans ma bouche pour lui expliquer que nous allons partir nous installer dans un endroit spécial, un endroit inconnu où nous pourrons commencer une nouvelle vie - magnifique, baigné d'air frais et de lumière : un île rien que pour nous.
Pendant que je parle, Kirstie ne me quitte pas du regard un seul instant. C'est à peine si elle cille. Muette, passive, comme en transe, me renvoyant mes propres silences. Puis elle hoche la tête et ébauche un sourire. Déconcertée, peut-être. Le calme règne dans la chambre. Je suis à court de mots.
- Alors ? dis-je enfin. Qu'est-ce que tu en penses ? Aller vivre sur une île, rien que nous trois, tu ne trouves pas ça formidable ?
Kirstie acquiesce d'un léger mouvement de tête. Baisse les yeux vers son livre, le referme, me dévisage de nouveau.
- Maman ? pourquoi tu m'appelles tout le temps Kirstie ?
Je ne réponds pas. Le silence me semble soudain assourdissant.
- Je, euh... Excuse-moi, ma puce, tu disais ?
- Pourquoi tu m'appelles tout le temps Kirstie, maman ? Kirstie est morte. C'est Kirstie qui est morte. Moi, je suis Lydia. [...] Je lève les yeux vers le rétroviseur. Kirstie me regarde quand je m'essuie rapidement les yeux. Je contemple son reflet, comme elle à dû si souvent contempler le sien dans la glace - et y voir aussi celui de sa soeur disparue.
Elle me sourit à présent;
Pourquoi ? Pourquoi sourit-elle ? Elle ne dit pas un mot, cligne à peine des yeux, et pourtant elle sourit. A croire qu'elle essaie de me faire peur.
Un frisson glacé me parcourt. Absurde, ridicule mais indéniable.
Il faut que je sorte de la voiture. Maintenant.