Le Thème.
La folie au quotidien
Une Citation.
Je ne pouvais m’empêcher de penser à lui, de songer, face à ce père seul dans un appartement avec son enfant, que cela, il l’avait fait pour nous aussi, qu’il lui avait bien fallu, quand nous le retrouvions pour un week-end ou des vacances, tenir en respect ses fantômes, ses délires pour accomplir les gestes qui bordent l’enfance, trouver, dans la sienne qui s’épuisait, l’énergie d’alimenter nos vies, vulnérables e voraces, préserver, dans le chaos où il était, un îlot d’ordre, dans le réel qui s’effritait, des horaires et des règles (nous donner des bains dans la baignoire où, le reste de la semaine, il lavait ensemble ses chemises et son chien, nous préparer à dîner, tracer sur nos fronts, le soir, au coucher, les signes magiques qui nous protégeaient) — « Je n’ai connu de bonheur permanent que celui qui vient de l’existence de nos enfants, tout le reste me semblant précaire, fragile, menacé ».
L’histoire en quelques mots.
En autant de lettres que l’alphabet comporte, Gwenaëlle Aubry nous livre 26 portraits de son père, jadis « fou », aujourd’hui décédé. Ce mot « fou » qui recèle tant de peurs pour l’extérieur, révèlera des moments d’effroi, de colère, de culpabilité et de tristesse. Il retiendra aussi des moments de tendresse, de complicité, de liens invisibles incroyables.
Ce que j’en ai pensé.
Dès les premiers instants, une phrase annonce la teneur du livre. Sous la plume de Gwenaëlle, la folie règne : Il dit ce que c’est de porter en soi une telle armée, d’être pour soi-même une terre fourmillante et désertée, de ne trouver à l’intérieur de soi que l’enfer des êtres extérieurs à soi. Il dit, pire que la douleur, que l’éternel enfer l’explosion de son véritable moi. Et pourtant, il y a bien d’autres choses : des portraits historiques palpitants d’ancêtres homonymes, des secrets et des coïncidences, des rencontres hasardeuses ou non…
Entremêlés aux souvenirs de la jeune femme, des passages écrits du père qu’il consignait dans des cahiers. Autant de confrontations. La folie vue par la petite fille, la folie vue par la famille à travers la petite fille, la folie vue par le fou lui-même avec ses moments de lucidité, ses moments de profond désespoir, parfois sa volonté de faire comme si, parfois sa volonté de ne plus être…
Il y a beaucoup de tendresse qui émane des mots, dans les descriptions d’ambiance, de lieux ou de sentiments. Il y a des passages qui mènent à la réflexion. La différence entre être et avoir. La place que l’on occupe dans le monde, cette absence d’originalité, de grain de folie. La conformité des gens et l’intolérance, l’abandon de ceux qui ne répondent pas correctement aux normes.
Ce livre remue beaucoup de choses, mais il y a une certaine inégalité entre les chapitres. Certains paragraphes sont fluides, emportés par une poésie certaine, quand d’autres accrochent nettement, comme s’il fallait faire cette lettre coûte que coûte. La volonté de respecter un alphabet y’a-t-il joué? Un autre point qui a freiné ma lecture plus d’une fois : la ponctuation. J’ai souvent eu cette impression qu’elle était mal placée, que ce soit par rapport au sens de la phrase ou de la respiration même. Si cela n’était pas trop gênant dans la première partie puisque contrebalancé par des phrases intenses, les dernières lettres de l’alphabet offrant moins d’envolées lyriques, mettent en exergue les difficultés de lecture.
Si ces deux derniers aspects empêchent une appréciation globale plus enjouée, il n’en reste pas moins que je garderais en mémoire une pointe de nostalgie et beaucoup de tendresse pour la relation décrite.