Lignes brisées d'Harold Cobert
Beau titre, belle couverture : j'avais repéré ce livre chez mon libraire il y a de cela quelques mois. Quelque chose, pourtant, m'avait retenue de l'acheter. Et voilà que je le découvre sur les étagères de ma bibliothèque : plus de raison d'hésiter, je fonce !
C'est peut-être que je ne suis pas faite pour les romans sentimentaux. Oh, je n'ai vu le terme nulle part, mais c'est à cela que j'ai pensé quand j'ai terminé l'ouvrage. Et manque de chance, j'ai un assez mauvais jugement du " roman sentimental ". La quatrième de couverture se place pourtant sous un patronage plus ambitieux : Lignes brisées serait une " éducation sentimentale d'un siècle désabusé ", en référence à L'Éducation sentimentale de Flaubert qui nous conte les difficiles amours de Frédéric Moreau et de Madame Arnoux. Mais tout le sujet du classique était déjà le désabusement d'une époque, l'impossible sublime et les rendez-vous manqués de la vie. A quoi bon insister, de façon presque pléonastique, là-dessus ?
Bon. Je suis peut-être injuste. Le sujet de Lignes brisées est plutôt intéressant, pour peu que l'on veuille bien s'y pencher. On pourrait le résumer grâce aux paroles de la chanson Le Tourbillon interprétée par Jeanne Moreau :
On s'est connu, on s'est reconnu,
On s'est perdu de vue, on s'est r'perdu d'vue
On s'est retrouvé, on s'est réchauffé,
Puis on s'est séparé.Chacun pour soi est reparti.
Dans l'tourbillon de la vie
Je l'ai revue un soir, aïe, aïe, aïe,
Ça fait déjà un fameux bail
Gabriel est devenu un écrivain à succès et il est en route pour une séance de signatures dans une librairie bruxelloise. Il feuillète son livre dans le train. Ce n'est pas la rencontre qui le rend nerveux, mais la perspective de revoir Salomé, son amour d'adolescence. Par des passages dudit roman, qui traite de ladite relation, et des flashbacks du personnage, le lecteur reconstitue morceau par morceau la relation étrange, en lignes brisées, des deux jeunes gens. Psychologiquement, c'est pas trop mal troussé : on croit à ces personnages criblés de défaut et on se surprend à s'émouvoir de leurs chassés croisés.
Oui mais. Parce que vous le sentez à mon ton, vous savez bien qu'il y a quelque chose qui ne va pas. Quelque chose qui me manque - ou quelque chose en trop, je ne sais pas bien. D'une part, je n'ai pas trouvé cela si délicat : l'attitude de Gabriel, si elle n'est pas forcément validée par l'auteur, confine beaucoup à la pose, et je n'ai pas toujours aimé découvrir le personnage de Salomé et cette histoire de son point de vue. Car si cette imperfection du personnage est plutôt un point positif, son regard, ses effets de langue alourdissent l'histoire, la rendent conventionnelle - pour ne pas dire cliché.
La confrontation finale entre les deux protagonistes, douloureuse, met en balance les non-dits et les ressentiments. J'ai réprimé quelques mouvements d'agacement devant la bassesse de certaines répliques - pourtant réalistes, au vu de la situation. Mais il y a tout de même quelque chose qui n'est pas passé. Oui, Lignes brisées a des thèmes particulièrement porteurs, de l'adolescence au temps qui file, en passant par nos renoncements et nos mauvais timings ; mais une fois l'ouvrage terminé, je me suis demandé ce qu'il m'avait apporté, en quoi il avait changé ou enrichi mon regard. Rien. J'ai été confortée dans mes regrets et mes aspirations, j'ai relu certaines pages de mon histoire, avec ce petit haussement d'épaules navré. J'ai refait le dessin de mes propres croisements, recartographié mes carrefours. Les soubresauts de la route sont toujours les mêmes. Ainsi va la petite musique des belles histoires, qui vous bercent un temps, mais ne vous restent jamais en tête bien longtemps.
Un rendez-vous manqué avec ce roman qui, semble-t-il, a plutôt conquis la blogosphère.
Nos débuts ressemblent à une séparation. Ce n'est que la deuxième fois que tout a commencé. Nous nous sommes d'abord à peine croisés. Mais tu connais mon sens de la mesure, je ne peux m'empêcher d'imaginer que ce premier de nos multiples croisements, en lignes brisées, renfermait en germe la totalité de ce qui allait suivre.