« Mon père a été chanteur, footballeur, professeur de judo, parachutiste, espion, pasteur d’une Eglise pentecôtiste américaine et conseiller personnel du général de Gaulle jusqu’en 1958. Un jour, il m’a dit que le Général l’avait trahi. Son meilleur ami était devenu son pire ennemi. Alors mon père m’a annoncé qu’il allait tuer de Gaulle. Et il m’a demandé de l’aider.
Je n’avais pas le choix.
C’était un ordre.
J’étais fier.
Mais j’avais peur aussi…
À 13 ans, c’est drôlement lourd un pistolet. »
Avis
Au coeur d'une famille où les sentiments ne se divulguent pas, Emile Choulans est un enfant qui n'a jamais pu remplir la case "profession du père" dans les formulaires scolaires et pour cause pendant son enfance Emile n'a cessé d'entendre son père lui raconter toutes sortes d'histoires sur son passé d'agent secret, de membre de l'OAS, ou encore de champion de Judo ou de pasteur, le tout arrosé de coups et d'humiliations.
Ce sont les années 60 et pour certains, en cette crise algérienne, beaucoup pensent que De Gaulle a trahi les français notamment le père d'Emile qui délire sur cette actualité et enrôle son fils dans l'OAS lui confiant des petites missions, lui faisant enchaîner pompes et autres entraînements en pleine nuit; un fils qui a tellement foi en son père qu'il ira bien trop loin dans les mensonges et sa soif de reconnaissance. Sa mère est une femme soumise qui n'ose contredire son mari, la violence s'abat autant sur l'un que sur l'autre, et l'isolement de la famille ne semble poser problème à aucun d'entre eux. Emile ne peut donc pas inviter d'amis à la maison, quand on fait partie d'une organisation secrète autant avoir le moins de contacts possibles avec des étrangers.
Il y a donc beaucoup de sentiments contradictoires dans ce roman, un enfant vénère un père qui le tyrannise, vit à travers lui des "aventures" incroyables en contrepartie de quoi il l'entraîne dans ses délires de vengeance, ce père qui dirige sa famille comme une armée où la peur est une arme redoutable. Pourtant bien des années plus tard Emile aime toujours son père, rendant visite à ses parents alors même qu'il ne se sent pas à sa place, chose que ces parents lui font bien ressentir. Pourtant il sera là jusqu'au bout, à essayer de se faire accepter d'eux, comme si l'intrus c'était lui et pas la maladie.
Un livre extrêmement touchant dans lequel on voit un jeune garçon prisonnier de la colère d'un père et de l'indifférence d'une mère, il s'évade grâce au dessin couchant sur papier les couleurs qui manque à sa vie. De cette épouvantable enfance en ressort un adulte meurtri qui se remémore le passé avec toujours autant de douleur. Les phrases amènent cette histoire émouvante et révoltante avec force, et les mots de l'auteur percutent le lecteur comme dans chacun de ses romans.
Mon coup de coeur de cette rentrée littéraire.