Les balbutiements chroniques de Sophie Torris…

Par Chatquilouche @chatquilouche

Cher Chat,

Si je démarre sur les chapeaux de roue, c’est qu’il fait tempête sous mon crâne. Nous sommes à la veille des élections et ça me prend la tête ! J’en bave des ronds de chapeaux à l’idée de devoir choisir une tête d’affiche parmi tant d’autres. C’est que, voyez-vous, je ne peux qu’en parler à travers mon chapeau* et, pourtant, je tiens à voter demain à visage découvert.
Je ne suis pas du genre à voter à la tête du client, mais j’aurais aimé que nos candidats se découvrent un peu plus. J’ai comme l’impression qu’ils se sont trouvé une tête de Turc pour pouvoir garder leur couvre-chef sans mettre toutes voiles dehors.
Et si nos hommes politiques, ces sombres héros n’étaient que des illusionnistes ? Voyez comment le gouvernement conservateur, alors qu’il perdait la face sur tous les fronts, a tiré, comme par magie, le foulard du chapeau. Ça ne fait palombe d’un doute, on nous prend pour des pigeons !
Je sais bien que la politique est un monstre à plusieurs têtes. Bien sûr, la place de la religion dans l’univers civique mérite sa tête de chapitre ! Bien sûr, j’ai les cheveux qui se dressent sur la tête à l’idée que l’on puisse porter le niqab lors de cérémonies de citoyenneté, mais faut-il travailler du chapeau* pour s’évertuer à y chercher des poux quand 99 % des femmes votent à visage découvert, et surtout quand l’environnement, l’économie, les inégalités de revenu, le mépris de la culture, le déni des premières nations sont des enjeux qui s’imposent bille en tête ?
Je n’ai pas l’habitude d’avoir la tête près du bonnet*, mais je vous avoue que j’en ai plein mon casque de ces campagnes électorales qui deviennent des joutes idéologiques où des faces de carême s’occupent du chapeau de la gamine* quand ils devraient défendre tout un programme et surtout s’y tenir sans faire volte-face. Car n’est-il pas là, le problème ? Tous les candidats semblent adeptes du ruban adhésif double face, histoire que ça colle à gauche comme à droite. La tête me tourne d’entendre dire une chose puis son contraire comme si l’on jouait à pile ou face. Ne trouvez-vous pas, le Chat, qu’il est de plus en plus difficile de se faire une opinion ? Sous mon béret hier, sous ma tuque en poil de caribou aujourd’hui, plusieurs fois, j’ai mangé mon chapeau*. Alors quand mes chères têtes blondes me demandent qui aura ma voix, je ne leur dis pas pour qui, mais contre qui je vais voter. C’est un peu triste de ne pas croire en quelqu’un, d’attendre l’élu de son cœur. Mais je ne désespère pas. Je veux penser qu’un jour, je pourrai crier à tue-tête : « chapeau, l’artiste ! ».
En attendant, je vote pour le moins pire. Parce qu’ici, au moins, on a la chance de pouvoir le faire. Je vote pour ces têtes brûlées qui le représentent en région et pour qui j’ai néanmoins beaucoup d’estime.
Demain, si l’on en croit les médias, 8000 têtes de pipe feront la guerre des tuques bien enfoncées jusqu’au cou pour faire la tête au carré au voile intégral. Je peux concevoir que cet exercice de défoulement pacifique puisse souligner par l’absurdité la décision de la Cour d’appel, mais on ne dira pas que le ridicule m’a tuée… J’aurais la mienne nue, bien campée sur mes épaules. J’irais voter en femme de tête pour qu’un homme tire enfin sa révérence. Il ne va quand même pas nous faire le coup du chapeau !
Sophie
*Parler à travers son chapeau : parler d’un sujet que l’on ne connait pas.
*Travailler du chapeau : ne pas avoir toute sa tête.
*Avoir la tête près du bonnet : se mettre facilement en colère.
*Manger son chapeau : convenir de s’être trompé.
*Ne pas s’occuper du chapeau de la gamine : ne pas s’en faire.

Notice biographique

Sophie Torris est d’origine française, Québécoise d’adoption depuis dix-sept  ans. Elle vit à Chicoutimi, y enseigne le théâtre dans les écoles et l’enseignement des arts à l’université. Elle écrit essentiellement du théâtre scolaire et mène actuellement des recherches doctorales sur l’impact de la voix de l’enfant acteur dans des productions visant à conscientiser l’adulte. Elle partage également une correspondance épistolaire avec l’écrivain Jean-François Caron sur le blogue In absentia. (http://lescorrespondants.wordpress.com)

(Une invitation à visiter le jumeau du Chat Qui Louche :https://maykan2.wordpress.com/)