La peste dont nous allons parler ici n'est pas la métaphore du fabuliste, mais il s'agit bel et bien de cette terrible épidémie qui, en 1348, décima les populations européennes en quelques mois. Cette Grande Peste est le contexte dans lequel se situe notre roman du jour, premier volet d'une nouvelle saga médiévale lancée, cet automne, par une spécialiste du genre, Andrea H. Japp. "Le fléau de Dieu", qui vient de paraître en grand format chez Flammarion, est le premier livre mettant en scène le personnage de Gabrielle d'Aurillay, héroïne d'une série intitulée "la malédiction de Gabrielle". Car, si la peste tient une place très importante dans ce livre, elle n'est pas le seul élément d'une histoire dont les jalons sont plantés et qui devraient, à l'avenir, réserver encore bien des surprises. Et peut-être même virer de la saga historique vers un genre plus proche du polar, car on y voit les prémices de ce qui pourrait constituer une intrigue à suspense au fil des tomes suivants. L'auteur nous propose en tout cas, comme elle sait si bien le faire, une plongée dans ce XIVe siècle fort mouvementé, qu'elle essaye de faire revivre sous nos yeux.
En cette année 1348, Gabrielle d'Aurillay fête ses 20 ans et attend pour la première fois un enfant. De quoi rendre radieuse cette jeune femme, issue d'une famille bourguignonne, les Lébragnan, et heureuse épouse d'un homme qu'elle considère comme le prince charmant des lectures courtoises qu'elle lit régulièrement, Henri d'Aurillay.
Seul petit nuage dans ce ciel d'un bleu immaculé, Henri a récemment choisi de venir vivre à Paris, délaissant la maison de Loges-en-Josas où la jeune femme serait bien restée pour passer une grossesse au calme, loin de la chaleur, de l'agitation et de la saleté de la capitale. Mais, les affaires de son époux sont importantes et elle a accepté ce déménagement, malgré ses réticences.
Aidée par une matrone pleine d'expérience, Adeline Musard, la jeune et jolie Gabrielle fait donc passer le temps en attendant que vienne l'heure d'accoucher, avec les risques qu'on sait, en cette époque où la mortalité infantile est énorme et où les parturientes sont elles aussi en danger lorsqu'elles donnent vie.
Mais, tout cela, la pieuse Gabrielle n'en a cure, son destin et celui de l'enfant à naître sont entre les mains de dieux et rien ne peut venir assombrir le bonheur parfait qu'elle goûte, malgré une certaine modestie de son train de vie. Henri travaille pour des personnes qui ne rémunèrent pas son travail à hauteur des efforts qu'il fournit.
Par hasard, dans un meuble, au milieu des vêtements, la jeune femme découvre pourtant un objet qui lui réchauffe le coeur et lui montre tout l'amour que lui porte son époux. Oh, en lui-même l'objet n'est pas terrible, un diptyque représentant une Crucifixion et une Ascension, dans un style loin d'être extraordinaire, mais elle y voit un cadeau qu'on lui réserve et qui lui fait un immense plaisir.
Malheureusement, le monde merveilleux dans lequel Gabrielle évolue va bientôt s'effondrer, d'un bloc, sans prévenir. Plusieurs raisons à cela : d'abord, elle va découvrir, presque par hasard, là encore, que son mariage est une comédie, que son époux est un joueur invétéré endetté jusqu'au trognon qui préfère courir la gueuse que partager ses soirées avec son épouse légitime.
Le portrait du mari idéal, incarnation du prince charmant, vole en éclats, à la grande colère de la jeune femme, qui se découvre bien naïve... Mais, elle ne va pas avoir le temps de régler cette question comme elle le voudrait. Car, et c'est le second point, il se passe à Paris, cet été-là, des choses dramatiques, qu'on essaye de cacher au peuple, le plus longtemps possible, par des méthodes assez sordides...
La peste touche la ville. Arrivée en France par Marseille, sans doute par les bateaux commerçant en Méditerranée, cette fièvre aux effets dévastateurs et que personne ne sait prévenir, ni guérir, touche de plus en plus de gens. Des plus modestes citoyens jusqu'à la cour, où vit la reine Jeanne de France, personne n'est à l'abri et la mort frappe en quelques heures...
Gabrielle, livrée à elle-même, sans nouvelle de son indélicat mari, ne va pouvoir compter que sur l'aide de la fidèle Adeline et sur ses prières pour essayer de réchapper au pire. Mais, cela ne fait qu'aggraver sa perte totale de repères. Survivre est la priorité, mais pour quoi, au final, puisqu'elle se retrouve fort démunie...
Voilà pour le fil conducteur de ce premier volet. Précisons que le roman commence par différents épisodes qui se déroulent entre 1341 et ce funeste été 1348, des événements que je n'évoque pas ici, à l'exception de l'apparition de la peste dans le Royaume de France. Pourquoi ces 60 pages, avant d'entrer dans le vif du sujet ?
Parce que "la malédiction de Gabrielle" débute avec des histoires qui s'entremêlent : l'histoire de Gabrielle, dont je viens de parler, les déboires d'Henri, que j'ai survolé mais qui est bien plus développée dans le roman, le parcours du mystérieux diptyque, qui semble attiser bien des convoitises, et même, là encore, j'en ai dit un mot, la vie à la cour de France, alors que la peste s'étend.
Ces fils narratifs vont sous-tendre, à plus ou moins long terme, probablement, la suite de la série. Car, en dehors de l'épidémie massive, tout le reste demeure ouvert, bien des questions se posent en fin d'ouvrage, et Andrea H. Japp choisit même de clore son premier tome sur un cliffhanger qui ne peut qu'attiser l'envie du lecteur de poursuivre l'aventure.
Poursuivons donc en nous intéressant d'abord à Gabrielle, puisqu'elle est le moteur de cette série. Au début du livre, je l'ai dit, son univers se limite à la foi profonde qui lui a été inculquée et à la littérature courtoise, mièvre et bien peu réaliste, en une époque où les mariages sont plus souvent des arrangements entre familles...
C'est évidemment, et indépendamment des questions médicales, le personnage qui va connaître le plus grand changement entre le début et la fin de ce livre, qui traverse le mois d'août 1348. Quoi de mieux pour lancer une série que de faire entrer de plain-pied le personnage central dans la réalité ? Et là, cette entrée, ce n'est pas le bal des débutantes, c'est même tout l'inverse.
Sans préjuger de ce qu'il va advenir de ce personnage gentillet, il est certain qu'elle va voir son cuir durcir, à vitesse accélérée. Mais surtout, elle va certainement gagner ou chercher à gagner une certaine indépendance qu'elle n'avait pas jusque-là. Jeune noble, jamais elle n'avait eu à s'occuper de quoi que ce soit jusqu'ici, mais cette époque est sans doute révolue... A suivre.
Laissons la grandir, on reparlera d'elle lorsqu'on en saura un peu plus sur son sort et cette malédiction qui pèse sur elle, selon le titre de la série. Et regardons d'autres aspects de ce livre. En commençant par une autre femme, Jeanne de France. Personnage méconnu, dont on ne sait pas grand-chose, elle était l'épouse du roi de France, Philippe VI, et mère du futur Jean II.
La Guerre de Cent Ans a débuté quelques années plus tôt, Philippe VI a subi un revers cinglant lors de la bataille de Crécy qui a fragilisé son règne et, pendant qu'il guerroie, c'est Jeanne qui assure la régence. Mais, le peuple ne l'aime pas, lui reprochant sa politique, ses frasques, sa boiterie, signe diabolique comme tout handicap, à cette époque...
Il y a quelque chose d'une Marie-Antoinette médiévale, dans le portrait qu'en fait Andrea H. Japp, dans "le fléau de Dieu". Une reine haïe de son peuple, aimant la fête, ne respectant guère l'étiquette ou les consignes qui lui sont données et s'entourant de dames de compagnie... Mais, cette impression doit d'abord être relativisée.
Ce qui est important, c'est le contraste entre la vie fastueuse de cette reine et ce qui va s'abattre, insidieusement, sur le royaume. L'arrivée de la peste prend tout le monde au dépourvu. L'adversaire est invisible, on ignore de quoi il s'agit ou comment le combattre et il frappe en tout lieu, sans distinction de classe. Bref, la reine est en danger.
Les événement décrits au palais royal, qui ne semblent pas, pour le moment, liés à ce que traverse Gabrielle, sont révélateurs de l'impuissance et de la panique qui a gagné le pays devant ce fléau, qui ne peut être que divin, ou pire : diabolique. Les plus érudits, dont Guy de Chaulhac, agissent au jugé, pressentant certaines choses sans disposer des connaissances nécessaires pour enrayer le mal.
D'ailleurs, que sait-on vraiment de cette Grande Peste de 1348 ? Parle-t-on de peste, la maladie stricto sensu, véhiculée par le Yersinia Pestis, qui ne sera identifié que des siècles plus tard ? Ou bien ce terme de peste, issu du latin, définit-il une épidémie de grande ampleur qui serait en fait la somme de plusieurs maladies conjuguées ?
Je sors un peu de la trame romanesque, pour jeter un oeil aux annexes, très intéressantes, qu'on trouve en fin d'ouvrage. Et en particulier ce qui concerne cette peste et ce qu'on en sait vraiment. A part les estimations qui évoquent l'éradication de près de la moitié des populations européennes, pas grand-chose. Au point de se demander, donc, si on ne se méprend pas sur l'expression "Grande Peste".
Andrea H. Japp, qui a suivi des études de bactériologie, avant de devenir écrivain et traductrice, donne des explications à la fois passionnantes et franchement flippantes sur la question et donne à voir les choses bien différemment de l'image d'Epinal qu'on peut avoir de cette période. Et si cela se reproduisait aujourd'hui, serions-nous près à faire face ?
La peste, là, on parle bien de Yersinia Pestis, a fait son retour à Madagascar depuis un quart de siècle et de nouveaux cas ont été constatés très récemment, encore. Cet été même (ce n'est pas dans le livre d'Andrea H. Japp, sans doute pour des questions de délai), des cas de peste ont été identifié dans des parcs naturels américains, Yellowstone et Yosémite... Bref, la maladie n'est pas éradiquée...
Eh oui, il faut bien faire frissonner ses lecteurs ! Pas question de se montrer alarmiste, mais ce mot sinistre de "peste" n'est plus si abstrait. Avec, tout de même, cet avantage de notre époque moderne, qu'on sait mieux appréhender ces questions, contamination, précautions à prendre, virologie, traitements, etc. qu'en 1348...
Et puis, il y a, comme dans les autres séries médiévales d'Andrea H. Japp, "la dame sans terre", "les mystères de Druon de Brévaux" et "les enquêtes de M. de Mortagne, bourreau", un soin particulier pris pour nous faire revivre l'époque. Presque trop, parfois. Glossaire, annexes, explications supplémentaires, ça, pas de souci, c'est passionnant.
En revanche, mais je suis tatillon, là, l'avalanche de notes de bas de page, quelque chose que j'avais déjà remarqué chez Andrea H. Japp, c'est par moments assez pénible... Non qu'elles ne soient pas utiles ou intéressante, en particulier pour juger de l'évolution de notre langue au fil des siècles, par exemple, mais parce que cela hache considérablement la lecture...
Andrea H. Japp tient tellement à être proche, dans les gestes, les habitudes, la manière de parler, de manger, de s'habiller, qu'elle finit par nous noyer un peu sous les informations... Mais c'est aussi cela qui rend cette lecture très intéressante, en ajoutant aux histoires relatées un côté docu-fiction qui me plaît assez.
Là encore, je ne puis juger de la suite de la série, mais voilà pourquoi, pour moi, ce premier tome de "la malédiction de Gabrielle" tient plus de la saga que du polar historique, par exemple. Certes, l'auteur met en place tous les ingrédients d'un suspense à venir, mais c'est d'abord la vie de ces gens, reine, noble, matrone, homme d'affaires, chanoines, etc. que l'on suit.
Le rythme de l'histoire, qui va en s'accélérant au fil des chapitres, n'est pas encore celui qu'on peut attendre d'un polar, même si la brièveté des chapitres et la simultanéité des histoires peut rappeler la construction de thrillers contemporains. Il reste que bien des questions sont posées dans ce premier tome et que, peu à peu, on se prend au jeu de cette nouvelle série. Avec l'envie d'en savoir plus, sur les personnages, mais aussi sur ce fameux diptyque, qui n'a pas encore révélé aucun de ses secrets.
En cette année 1348, Gabrielle d'Aurillay fête ses 20 ans et attend pour la première fois un enfant. De quoi rendre radieuse cette jeune femme, issue d'une famille bourguignonne, les Lébragnan, et heureuse épouse d'un homme qu'elle considère comme le prince charmant des lectures courtoises qu'elle lit régulièrement, Henri d'Aurillay.
Seul petit nuage dans ce ciel d'un bleu immaculé, Henri a récemment choisi de venir vivre à Paris, délaissant la maison de Loges-en-Josas où la jeune femme serait bien restée pour passer une grossesse au calme, loin de la chaleur, de l'agitation et de la saleté de la capitale. Mais, les affaires de son époux sont importantes et elle a accepté ce déménagement, malgré ses réticences.
Aidée par une matrone pleine d'expérience, Adeline Musard, la jeune et jolie Gabrielle fait donc passer le temps en attendant que vienne l'heure d'accoucher, avec les risques qu'on sait, en cette époque où la mortalité infantile est énorme et où les parturientes sont elles aussi en danger lorsqu'elles donnent vie.
Mais, tout cela, la pieuse Gabrielle n'en a cure, son destin et celui de l'enfant à naître sont entre les mains de dieux et rien ne peut venir assombrir le bonheur parfait qu'elle goûte, malgré une certaine modestie de son train de vie. Henri travaille pour des personnes qui ne rémunèrent pas son travail à hauteur des efforts qu'il fournit.
Par hasard, dans un meuble, au milieu des vêtements, la jeune femme découvre pourtant un objet qui lui réchauffe le coeur et lui montre tout l'amour que lui porte son époux. Oh, en lui-même l'objet n'est pas terrible, un diptyque représentant une Crucifixion et une Ascension, dans un style loin d'être extraordinaire, mais elle y voit un cadeau qu'on lui réserve et qui lui fait un immense plaisir.
Malheureusement, le monde merveilleux dans lequel Gabrielle évolue va bientôt s'effondrer, d'un bloc, sans prévenir. Plusieurs raisons à cela : d'abord, elle va découvrir, presque par hasard, là encore, que son mariage est une comédie, que son époux est un joueur invétéré endetté jusqu'au trognon qui préfère courir la gueuse que partager ses soirées avec son épouse légitime.
Le portrait du mari idéal, incarnation du prince charmant, vole en éclats, à la grande colère de la jeune femme, qui se découvre bien naïve... Mais, elle ne va pas avoir le temps de régler cette question comme elle le voudrait. Car, et c'est le second point, il se passe à Paris, cet été-là, des choses dramatiques, qu'on essaye de cacher au peuple, le plus longtemps possible, par des méthodes assez sordides...
La peste touche la ville. Arrivée en France par Marseille, sans doute par les bateaux commerçant en Méditerranée, cette fièvre aux effets dévastateurs et que personne ne sait prévenir, ni guérir, touche de plus en plus de gens. Des plus modestes citoyens jusqu'à la cour, où vit la reine Jeanne de France, personne n'est à l'abri et la mort frappe en quelques heures...
Gabrielle, livrée à elle-même, sans nouvelle de son indélicat mari, ne va pouvoir compter que sur l'aide de la fidèle Adeline et sur ses prières pour essayer de réchapper au pire. Mais, cela ne fait qu'aggraver sa perte totale de repères. Survivre est la priorité, mais pour quoi, au final, puisqu'elle se retrouve fort démunie...
Voilà pour le fil conducteur de ce premier volet. Précisons que le roman commence par différents épisodes qui se déroulent entre 1341 et ce funeste été 1348, des événements que je n'évoque pas ici, à l'exception de l'apparition de la peste dans le Royaume de France. Pourquoi ces 60 pages, avant d'entrer dans le vif du sujet ?
Parce que "la malédiction de Gabrielle" débute avec des histoires qui s'entremêlent : l'histoire de Gabrielle, dont je viens de parler, les déboires d'Henri, que j'ai survolé mais qui est bien plus développée dans le roman, le parcours du mystérieux diptyque, qui semble attiser bien des convoitises, et même, là encore, j'en ai dit un mot, la vie à la cour de France, alors que la peste s'étend.
Ces fils narratifs vont sous-tendre, à plus ou moins long terme, probablement, la suite de la série. Car, en dehors de l'épidémie massive, tout le reste demeure ouvert, bien des questions se posent en fin d'ouvrage, et Andrea H. Japp choisit même de clore son premier tome sur un cliffhanger qui ne peut qu'attiser l'envie du lecteur de poursuivre l'aventure.
Poursuivons donc en nous intéressant d'abord à Gabrielle, puisqu'elle est le moteur de cette série. Au début du livre, je l'ai dit, son univers se limite à la foi profonde qui lui a été inculquée et à la littérature courtoise, mièvre et bien peu réaliste, en une époque où les mariages sont plus souvent des arrangements entre familles...
C'est évidemment, et indépendamment des questions médicales, le personnage qui va connaître le plus grand changement entre le début et la fin de ce livre, qui traverse le mois d'août 1348. Quoi de mieux pour lancer une série que de faire entrer de plain-pied le personnage central dans la réalité ? Et là, cette entrée, ce n'est pas le bal des débutantes, c'est même tout l'inverse.
Sans préjuger de ce qu'il va advenir de ce personnage gentillet, il est certain qu'elle va voir son cuir durcir, à vitesse accélérée. Mais surtout, elle va certainement gagner ou chercher à gagner une certaine indépendance qu'elle n'avait pas jusque-là. Jeune noble, jamais elle n'avait eu à s'occuper de quoi que ce soit jusqu'ici, mais cette époque est sans doute révolue... A suivre.
Laissons la grandir, on reparlera d'elle lorsqu'on en saura un peu plus sur son sort et cette malédiction qui pèse sur elle, selon le titre de la série. Et regardons d'autres aspects de ce livre. En commençant par une autre femme, Jeanne de France. Personnage méconnu, dont on ne sait pas grand-chose, elle était l'épouse du roi de France, Philippe VI, et mère du futur Jean II.
La Guerre de Cent Ans a débuté quelques années plus tôt, Philippe VI a subi un revers cinglant lors de la bataille de Crécy qui a fragilisé son règne et, pendant qu'il guerroie, c'est Jeanne qui assure la régence. Mais, le peuple ne l'aime pas, lui reprochant sa politique, ses frasques, sa boiterie, signe diabolique comme tout handicap, à cette époque...
Il y a quelque chose d'une Marie-Antoinette médiévale, dans le portrait qu'en fait Andrea H. Japp, dans "le fléau de Dieu". Une reine haïe de son peuple, aimant la fête, ne respectant guère l'étiquette ou les consignes qui lui sont données et s'entourant de dames de compagnie... Mais, cette impression doit d'abord être relativisée.
Ce qui est important, c'est le contraste entre la vie fastueuse de cette reine et ce qui va s'abattre, insidieusement, sur le royaume. L'arrivée de la peste prend tout le monde au dépourvu. L'adversaire est invisible, on ignore de quoi il s'agit ou comment le combattre et il frappe en tout lieu, sans distinction de classe. Bref, la reine est en danger.
Les événement décrits au palais royal, qui ne semblent pas, pour le moment, liés à ce que traverse Gabrielle, sont révélateurs de l'impuissance et de la panique qui a gagné le pays devant ce fléau, qui ne peut être que divin, ou pire : diabolique. Les plus érudits, dont Guy de Chaulhac, agissent au jugé, pressentant certaines choses sans disposer des connaissances nécessaires pour enrayer le mal.
D'ailleurs, que sait-on vraiment de cette Grande Peste de 1348 ? Parle-t-on de peste, la maladie stricto sensu, véhiculée par le Yersinia Pestis, qui ne sera identifié que des siècles plus tard ? Ou bien ce terme de peste, issu du latin, définit-il une épidémie de grande ampleur qui serait en fait la somme de plusieurs maladies conjuguées ?
Je sors un peu de la trame romanesque, pour jeter un oeil aux annexes, très intéressantes, qu'on trouve en fin d'ouvrage. Et en particulier ce qui concerne cette peste et ce qu'on en sait vraiment. A part les estimations qui évoquent l'éradication de près de la moitié des populations européennes, pas grand-chose. Au point de se demander, donc, si on ne se méprend pas sur l'expression "Grande Peste".
Andrea H. Japp, qui a suivi des études de bactériologie, avant de devenir écrivain et traductrice, donne des explications à la fois passionnantes et franchement flippantes sur la question et donne à voir les choses bien différemment de l'image d'Epinal qu'on peut avoir de cette période. Et si cela se reproduisait aujourd'hui, serions-nous près à faire face ?
La peste, là, on parle bien de Yersinia Pestis, a fait son retour à Madagascar depuis un quart de siècle et de nouveaux cas ont été constatés très récemment, encore. Cet été même (ce n'est pas dans le livre d'Andrea H. Japp, sans doute pour des questions de délai), des cas de peste ont été identifié dans des parcs naturels américains, Yellowstone et Yosémite... Bref, la maladie n'est pas éradiquée...
Eh oui, il faut bien faire frissonner ses lecteurs ! Pas question de se montrer alarmiste, mais ce mot sinistre de "peste" n'est plus si abstrait. Avec, tout de même, cet avantage de notre époque moderne, qu'on sait mieux appréhender ces questions, contamination, précautions à prendre, virologie, traitements, etc. qu'en 1348...
Et puis, il y a, comme dans les autres séries médiévales d'Andrea H. Japp, "la dame sans terre", "les mystères de Druon de Brévaux" et "les enquêtes de M. de Mortagne, bourreau", un soin particulier pris pour nous faire revivre l'époque. Presque trop, parfois. Glossaire, annexes, explications supplémentaires, ça, pas de souci, c'est passionnant.
En revanche, mais je suis tatillon, là, l'avalanche de notes de bas de page, quelque chose que j'avais déjà remarqué chez Andrea H. Japp, c'est par moments assez pénible... Non qu'elles ne soient pas utiles ou intéressante, en particulier pour juger de l'évolution de notre langue au fil des siècles, par exemple, mais parce que cela hache considérablement la lecture...
Andrea H. Japp tient tellement à être proche, dans les gestes, les habitudes, la manière de parler, de manger, de s'habiller, qu'elle finit par nous noyer un peu sous les informations... Mais c'est aussi cela qui rend cette lecture très intéressante, en ajoutant aux histoires relatées un côté docu-fiction qui me plaît assez.
Là encore, je ne puis juger de la suite de la série, mais voilà pourquoi, pour moi, ce premier tome de "la malédiction de Gabrielle" tient plus de la saga que du polar historique, par exemple. Certes, l'auteur met en place tous les ingrédients d'un suspense à venir, mais c'est d'abord la vie de ces gens, reine, noble, matrone, homme d'affaires, chanoines, etc. que l'on suit.
Le rythme de l'histoire, qui va en s'accélérant au fil des chapitres, n'est pas encore celui qu'on peut attendre d'un polar, même si la brièveté des chapitres et la simultanéité des histoires peut rappeler la construction de thrillers contemporains. Il reste que bien des questions sont posées dans ce premier tome et que, peu à peu, on se prend au jeu de cette nouvelle série. Avec l'envie d'en savoir plus, sur les personnages, mais aussi sur ce fameux diptyque, qui n'a pas encore révélé aucun de ses secrets.