Mélodie s’aperçut aussitôt qu’il s’était passé quelque chose. Elle se précipita auprès de son petit, chercha le pouls, ne le trouva pas. Elle mit l’oreille près de son nez et n’entendit aucun souffle. Elle cria comme elle n’avait jamais crié, expulsant dans un seul cri toute l’angoisse d’une vie.
— David !
Elle trouva ensuite le bouton d’appel, mais le poste de garde avait très bien entendu son cri, même au travers une porte, même si la chambre était la plus éloignée dans le couloir. Le bouton d’appel ne faisait que confirmer l’urgence. Mélodie, qui avait son cours de secouriste, commença les manœuvres de réanimation. La rage fit place à la méthode et les gestes si souvent répétés devinrent réflexes, réflexes de survie pour son petit, son amour, le grand amour de sa vie… L’équipe médicale arriva avec le chariot de réanimation. Le médecin prit le pouls… pas de pouls. L’équipe préparait le défibrillateur automatique et l’assistance respiratoire pendant qu’un préposé englobait Mélodie de ses bras pour l’éloigner de la scène. Elle se laissa entraîner à contrecœur, car elle admit que l’équipe médicale pouvait mieux qu’elle ramener son David à la vie.
David n’avait aucune conscience de ce qui l’entourait, des efforts déployés pour lui venir en aide. Il voguait doucement sur les ailes de la mort qui l’entraînait dans les abimes de l’oubli éternel. Il sombrait. Puis son corps astral s’éleva au-dessus du lit au cri de sa mère. David suivit de façon intéressée, mais totalement détachée, comme un cours de math, les manœuvres de sa mère puis de l’équipe médicale pour le réanimer et le ramener à la vie. Il fut tiré par le haut vers les sphères ultimes de la conscience. Il visionna le film de sa vie assis au milieu d’un grand cinéma et s’aperçut qu’il n’avait pas de popcorn… Mais le film ne durait pas longtemps. C’était un court-métrage et en plus, comme David n’était encore qu’un enfant, le film de sa vie était un dessin animé ! Il eut un flash. Pendant une seconde lui apparut le tableau de Poutine où il se voyait sortir de Ste-Justine un soir d’hiver alors que Poutine poussait son fauteuil roulant et il vit la date au bas du tableau : le 12 décembre 2010.
Un choc violent ramena son corps à la réalité. Il vit une lumière blanche entourée d’un kaléidoscope de toutes les couleurs ! Une vraie danse cosmique. Il voyageait sans son corps d’une chambre à l’autre et se retrouva dans la chambre de Solane : elle était dans son bain. David ne trouva rien d’excitant à la vue de son corps nu ; il était bien au-delà de ces considérations. Il fut cependant intrigué par une tache de naissance juste au-dessus des fesses, une tache de naissance rouge en forme d’un croissant de lune suivi d’une étoile à six pointes.
Nouvelle décharge électrique, et encore la lumière aveuglante. Mais cette fois, elle s’éloignait, ou David s’en éloignait, retournait dans son corps.
— Il revient ! s’exclama le jeune médecin qui en était à sa première réanimation.
Mélodie bondit de sa chaise où elle s’était effondrée et enveloppa son fils de ses longs bras. La mère pleurait à chaudes larmes, ce qu’elle s’était toujours interdit de faire devant son fils, pendant que David expérimentait de nouveau le fait d’avoir un corps… endolori. Il sourit à l’averse de larmes de sa mère.
Dans la porte, en robe de chambre et les cheveux tout mouillés parce qu’elle sortait du bain : Solane, aussi heureuse qu’une petite fille pût l’être. L‘équipe médicale s’applaudit, David les appuya, sa mère aussi et Solane se joignirent à eux. Un de sauvé ! Pour l’instant… David irradiait une aura de survivant. Tout le monde lui mettait la main sur l’épaule, pour le toucher, toucher quelqu’un qui y était allé et était revenu. Sa sentence de mort du mois prochain tenait toujours. Mais quelque chose s’était produit. Quelque chose d’important.
20 h 30 : heure du bain pour David. Personne n’était invité à rester dans la chambre sauf sa mère qui lui donnait son bain depuis qu’il était hospitalisé alors qu’à domicile, cette pratique n’avait plus cours depuis plusieurs années. David avait juste fait signe à Solane de rester quelques secondes, car il avait quelque chose à lui dire.
— C’est joli, ta tache de naissance au bas du dos.
— Comment tu sais ça ? s’exclama-t-elle en la touchant de façon automatique.
— Quand je suis mort tantôt, je t’ai vue dans ton bain.
— Et qu’est-ce que t’as vu ?
— Un croissant de lune et une étoile à six pointes.
— C’est tout ?
— Et toi, toute nue en train de te laver…
Mélodie se plaça derrière Solane lorsque celle-ci dégagea l’espace entre le haut et le bas de son pyjama. La tache de naissance était bien là telle que décrite par David : un croissant et une étoile à six pointes.
— On appelle ça une étoile de David justement, dit Mélodie par souci d’éducation.
David sourit, fier que son étoile garnisse le bas du dos (tout près du début des fesses) de Solane.
— Tu trouves ça drôle de m’avoir vue toute nue ?
— J’ai pas fait exprès quand même !
— Ne recommence pas !
— Pas de sitôt j’espère. Ma mère n’était pas prête que je meure.
— Pis je ne serai jamais prête, dit celle-ci en prenant David dans ses bras.
Solane s’approcha et fut acceptée dans le cercle d’amour du fils et de la mère. Seule Jessica avait maintes fois eu ce privilège, mais Jessica était la sœur de David, pas Solane. Plus un mot. Tout était dit.
Extrait de Chéri, tu as la leucémie.
Notice biographique :
L’auteur se présente ainsi :
« Né à Victoriaville dans un garage où sa famille habitait, l’école fut la seule constante de son enfance troublée. Malgré ses origines modestes, où la culture était un luxe hors d’atteinte, Denis a obtenu un bac en sociologie. Enchaînant les petits emplois d’agent de sécurité ou de caissier de dépanneur, il publia son premier ouvrage chez Louise Courteau en 1982 :La lumière différente, un conte fantastique pour enfants. Il est un ardent militant d’Amnistie Internationale et un rédacteur régulier dans des journaux universitaires et communautaires. Finalement, après plusieurs manuscrits non publiés, il publiera chez LÉR Les chroniques du jeune Houdini. D’autres romans sont en chantier… »