La littérature jeunesse, j'aime ça, je l'ai déjà dit. Mais pourquoi ?
Est-ce le syndrôme Peter Pan ? Ai-je peur du monde des adultes, des délais administratifs et du goût amer du café ? (Totalement.) Aucun rapport. Si je l'aime tant, c'est que la littérature jeunesse est :
Ce qui est vrai pour la littérature en général l'est tout autant, sinon plus, pour la littérature jeunesse, qui semble n'avoir peur de rien, et s'attaquer à tout.
Elle fourmille, par tradition et par nature, de renvois à l'imaginaire dont la littérature adulte a tendance à se défaire par rejet de ce qu'elle associe à l'enfance et qui ne serait pas sérieux. (Ou par rejet de la littérature-plaisir par opposition à la littérature intellectuelle ?) Alors que tout ça, c'est dans ta tête.
La littérature adulte assume moins facilement l'invention, le fantastique et la fantaisie (alors même que la littérature dite Blanche verse bien souvent dans le fantastique ou la science-fiction, que l'on parle de Lévy, Houellebecq, Nothomb, ou de les dernières sélections Goncourt-Fémina-Renaudot (2084, anyone ? et ce n'est pas le seul)).
Or, c'est mon avis, et certaines études tendent à le prouver*, que la stimulation de l'imaginaire nourrit l'intelligence émotionnelle, et fait, in fine, de meilleurs êtres humains.
- Audacieuse en matière de création
littéraire et artistique
Malgré les contraintes auxquelles elle doit se conformer vis-à-vis de son lectorat, la littérature jeunesse est la première à se renouveler, à interroger les interdits et les tabous, à flirter avec la philosophie sans se sentir obligée de devenir du nouveau roman. Graphiquement et esthétiquement, c'est en jeunesse que l'on trouve les plus belles démarches d'innovation de format, d'association entre typographie et illustration, de jeux de polices (etc.), sans parler des couvertures qui sont souvent magnifiques.
L'éditeur, non seulement pour porter les audaces des auteurs et illustrateurs, mais aussi pour toucher un public jeune dont les attentes et les goûts en matière de livre sont fortement influencés par le look de l'objet, est conduit à beaucoup travailler sa maquette pour la rendre - que sais-je- aérée et colorée, ou bien sombre et mystérieuse, ou encore ludique et dynamique, selon le type de contenu et le lectorat visé.
- Exempte des snobismes et hypocrisies littéraires que l'on peut rencontrer dans la littérature adulte
Qu'il s'agisse des maquettes à la P.O.L ou Minuit, ou même NRF, qui ont certes l'élégance de la sobriété mais manquent un chouilla de volonté de séduction, prisonnières d'un rapport à la culture bien français où, si elle n'est pas un peu aride, la littérature n'est pas noble ;
ou qu'il s'agisse du contenu, de Duras à Houellebecq en passant par Claude Simon et Beigbeder, qui peuvent être représentatifs des expérimentations, provocations, prétentions définissant une part de la littérature moderne ;
la littérature adulte se laisse aisément dénaturer par des considérations de représentation qui restent, en majorité, absentes de la littérature jeunesse. Je lis de nombreux genres, et constate que beaucoup de vices littéraires ne font que de très rares incursions en jeunesse. Cela joue aussi dans ma préférence pour ce rayon.
J'ai les yeux ouverts : je ne vais pas vous dire que la littérature jeunesse est meilleure que tel ou tel autre genre ou sous-genre. Elle compte comme les autres rayons de jolis exemples de nullité et de vacuité absolus (Les Tchoupi, Violetta ou Twilight que l'on jette complaisamment au bûcher ne sont pas les seuls). Mais c'est un genre qui réclame une certaine authenticité. La littérature jeunesse fourmille de bonnes idées, et ne s'embarrasse pas d'autres limites que celles de l'imagination et l'entendement de son lecteur. Or, l'imagination et l'entendement de la jeunesse, c'est sans doute Saint-Exupéry qui nous en parle le mieux :
" Les grandes personnes ne comprennent jamais rien toutes seules, et c'est fatiguant, pour les enfants, de toujours et toujours leur donner des explications. "**
(Mais)
Ne soyez pas intimidés.
Venez lire dans le rayon jeunesse.Il n'est pas trop bien pour vous.
Lupiot* Je pense, par exemple, aux recherches sur le langage et les mécaniques du cerveau menées par Tom Mitchell, qui a utilisé la lecture d'un chapitre du premier tome de Harry Potter pour évaluer les corrélations entre, d'une part, les éléments de syntaxe, le point de vue des personnages, les mouvements, les dialogues, etc., et d'autre part, les zones du cerveaux activées.
La région qui s'active lorsque nous traitons le point de vue d'un personnage, notamment, est la même que celle dont nous usons au quotidien pour percer les intentions cachées et non-dits. La région liée à la mémoire verbale quant à elle, est celle qui s'active lorsque le lecteur éprouve de la peine, et semblerait en outre plus développée chez les grands lecteurs. Ainsi, la lecture dès le l'âge le plus tendre augmenterait les capacités du jeune lecteur à percevoir les émotions... Si ce n'est pas là le propos de l'étude menée par Mitchell, qui s'attache à percer quelques uns des mystères physiologiques liés à l'activité de la lecture, c'est en revanche le genre d'indices qui portent à considérer la lecture comme le terreau d'une meilleure intelligence émotionnelle. Et moi j'aime bien, ça.
** Citation extraite du Petit Prince (1943), vous vous en doutiez.
*** Les images utilisées sont tirées de :
- Tous à poil ! de Claire Franck et Mark Daniau (Le Rouergue 2011)
- Je reviens de mourir, d'Antoine Dole (Sarbacane 2008)
- Le bizarre incident du chien pendant la nuit, de Mark Haddon (2003, Pocket Jeunesse 2005)
- Max et les Maximonstres, de Maurice Sendak (1963, L'école des loisirs 1967)
- Summertime, tome 2 : Tanya, de Louise Byron (Flammarion-Père Castor 2014)
- Le chaos en marche tome 1 : La voix du couteau, de Patrick Ness (2008, Gallimard Jeunesse 2009)
- Idem.
- Le cirque des rêves, d'Erin Morgenstern (2011, Flammarion 2013)
- Ciel, tome 1.0 : L'hiver des machines, de Johan Heliot (Gulf Stream 2014)
- Harry Potter and the Philosopher's Stone, de J. K. Rowling (Bloomsbury, 1997)