J'avais inauguré les chroniques d'albums sur Allez vous faire lire avec deux albums pour affronter ses démons. Je reviens avec le même principe : deux albums qui ont attiré mon œil, sur une thématique commune.
- La grande vague, de Véronique Massenot et Bruno Pilorget
- Yakouba, de Thierry Dedieu
- c'est, à mon avis, assez facile de se faire son propre avis en librairie en les feuilletant, ce qui n'est pas forcément le cas de la littérature ;
- il y a déjà moult littérature sur le sujet, et beaucoup de passionnés qui conseillent (très bien) dans ce rayon-là (notamment parce que c'est une passion qui peut s'entretenir sans y consacrer trop de temps, tandis que la littérature est salement chronophage) ;
- j'ai beau avoir étudié la relation texte-image et m'y intéresser beaucoup, et être souvent, délicatement ou profondément, touchée par les illustrations, je crois que, in fine, c'est surtout du texte qu'il m'intéresse de parler ;
- ils sont, dans leur essence, si brefs que j'ai un peu peur, en vous en parlant, de gâcher le sentiment d'émerveillement qui vous saisira à la lecture de leurs quelques pages.
C'est pourquoi je chronique peu d'albums. Je peux vous en conseiller des tas ! Mais vous en parler, j'aime mieux pas. Pour ces quatre raisons-là.
Toutefois, je trouve ça vraiment dommage de faire comme si ce pan du rayon jeunesse (qui est un véritable jardin d'Éden) n'existait pas. J'ai donc décidé qu'environ une fois par mois, je vous offrirais une petite chronique " duo d'albums ".
Aujourd'hui, deux albums pour grandir le plus loin possible. En effet, nous partons pour le Japon médiéval, sur les (petites) traces de pas du (petit) Naoki, puis pour l'Afrique noire sur celles du courageux Yakouba.
- La grande vague, de Véronique Massenot et Bruno Pilorget
La grande vague est un conte imaginé par Véronique Massenot au croisement de plusieurs cultures asiatiques, mais très inspiré par l'imaginaire et la symbolique de La grande vague d'Hokusai, une estampe célèbre (et magnifique). Cette grande vague, dans la culture japonaise, renvoie à l'élément aquatique originel, féminin : la mère, qui vient faire don d'un enfant à la terre, masculine (le Mont Fuji que l'on aperçoit derrière).
Le petit Naoki.
L'ennui, c'est que le petit Naoki reste tout petit. Il reste petit, et ne trouve pas sa place. Il se demande d'où il vient, qui sont ses véritables parents, et s'il grandira jamais assez pour devenir comme les autres.
À l'heure des doutes, un beau jour, Naoki est à nouveau emporté par l'océan, et au travers de son voyage, beau, étrange et violent, il réalise qu'il veut retourner chez lui. Par la même, il comprend qui il est, et lorsqu'il réapparaît sur le rivage, Naoki a grandi.
Cet album emprunte très largement l'esthétique d'Hokusai ; elle en rajeunit les couleurs et le trait, mais c'est bien la vague d'Hokusai qui nous lèche le bout des doigts à chaque page. Le dessin est moins fin, mais plus doux. Naoki et son peuple de pêcheurs ont le visage dur et le regard profond et bon ; ces personnages sont touchants en peu de mots.
La rencontre du style narratif lancinant, en flux et reflux, à la fois simple et poétique, avec ces illustrations, donne naissance à un conte fin qui n'en dit pas plus que nécessaire.
Mais lorsque le lion apparaît, celui-ci est blessé, et interpelle paisiblement Yakouba. Si Yakouba le tue, il deviendra homme et connaîtra l'honneur dans sa tribu. Mais ce sera une victoire sans gloire, contre un ennemi à terre. S'il ne le tue pas, il connaîtra la honte, mas grandira à ses propres yeux. Yakouba a le nuit pour réfléchir.
Yakouba épargne le lion et ne devient jamais un guerrier. Mais, du jour où il devient gardien berger, plus aucun lion n'attaque le troupeau.
Ce conte a une personnalité forte et sincère, tant dans ses mots, son rythme, que son graphisme. Chaque page compte une phrase ou deux, simple, percutante, alliée à une illustration exclusivement en ombre et lumière. Comme dans La grande vague, tout est histoire d'équilibre, ici (la mer et la terre, l'ombre et la lumière, le yin et le yang). Et, surtout, il est question de grandir en sachant qui l'on est vraiment. Inutile de partir loin : c'est auprès des siens que l'on se découvre, que l'on s'affronte véritablement.
Yakouba est un conte assez émouvant qui, comme La grande vague, reste sur le fil. Tout est clair, mais on n'en dit jamais trop.
Si La Fontaine était passé par là, peut-être aurait-il conclu par rien ne sert de courir, il faut grandir à point, sorte de moralité (superflue) à ces deux albums qui nous invitent à grandir le plus loin possible... c'est-à-dire : en nous-même.
Bonne lecture, LupiotLa grande vague, de Véronique Massenot et Bruno Pilorget, chez L'élan vert, 32 pages
Yakouba, de Thierry Dedieu, 1994, chez Le Seuil Jeunesse, 40 pages