De Craig Davidson, je veux tout lire. Après le choc causé par Cataract City, je me suis jetée comme un chien affamé sur Les bonnes âmes de Sarah Court. Il me reste à lire Juste être un homme et Un goût de rouille et d'os.Ce sera une découverte de son œuvre à-rebours.Sarah Cour: un lotissement au nord de Niagara Falls, en Ontario. Un lotissement disposé en cercle, où les maisons, toutes identiques, ont été construites à la va-comme-je-te-pousse.
Les bonnes âmes du titre, c'est cinq familles qui, à un moment ou à un autre, ont vécu à Sarah Court. Les écureuils pullulent dans le lotissement. Ils partagent le territoire avec des familles tout ce qu'il y a de plus typées. Ces gens se connaissent. Ils s'apprécient ou se méprisent, se mettent au défi par l'entremise de leurs enfants, prennent une bière ensemble ou s'ignorent. Les solitudes se frôlent, s'entrechoquent.Cinq chapitres, cinq histoires pour autant de familles. Des familles restreintes puisque la mère fait souvent office de grand absente.Un batelier repêche des noyés. Son fils cascadeur tente de retrouver la gloire en descendant les chutes Niagara dans un tonneau. Un neurochirurgien alcoolique ne peut plus pratiquer. Un ancien boxeur se reconvertit en agent de liaison pour les détenteurs de la carte Centurion d'American Express. Son fils se réfugie dans la peau de personnages: vampire, stégosaure, momie. (Voir ce gamin obèse par les yeux de son père crève le coeur.) Un père tire la chandelle par les deux bouts, par désespoir, parce qu'il est arrivé, par sa faute, un malheur à sa fille haltérophile. Une fille, voleuse à l'étalage, trouve un bébé abandonné dans des toilettes d'un Walmart et l'adopte. Orphelin d'une fumeuse de crack, un technicien de distributeurs automatiques se transforme en criminel occasionnel. Sans oublier Matilda, la pitbull.Des personnages forts, enracinés, cabossés physiquement ou émotionnellement. Dommage que certains, qui avaient un fort potentiel, manquent de souffle et de profondeur.Davidson créé une mosaïque d'histoires en toile d'araignée. Les fils, séparés les uns des autres, finissent tôt ou tard par se croiser à différents moments, dans le présent ou le futur. Ici, la temporalité est totalement éclatée.Plusieurs passages crève-cœur, d'autres hilarants. Parce que malgré l'horreur, l'humour noir et l'autodérision se pointent là où on s'y attend le moins. Des images d'horreur aussi, comme cette haltérophile qui reçoit un haltère sur la trachée. Ouch!Les thèmes récurrents de Davidson sont tous présents. Les relations boiteuses entre père et fils, ou père et fille. Le désir, très fort, de vivre ou de mourir, malgré tout. Les rêves écrasés, la culpabilité, le ressentiment. Beaucoup d'échecs, peu d'espoir. En filigrane, la boxe, toujours. Et l'amour des bêtes.Je ne le cacherai pas: j’ai eu un mal de chien à me retrouver dans ces intrigues désordonnées. Je me suis égarée souvent. J'en ai perdu des bouts.Au final, je demeure dans une espèce de brouillard, de ceux qui ne veulent plus se dissiper. Prise au piège. Ensorcelée. L'écriture de Davidson et les images qu'il parvient à faire naître rachètent tout. C'est cru, musclé, d'une puissance brute. Marquant.Tout ceux que vous avez rencontrés dans ces pages trouveront le bonheur. Vous y croyez, n'est-ce pas? À une échelle réduite, certes, mais cette échelle commence à diminuer dès votre premier souffle. Vous, les vivants, êtes tellement pétris de défauts. Le pire d'entre eux est de chercher constamment à être heureux. Le bonheur est meilleur quand il se pointe à petites doses et ne dure jamais longtemps. Exiger davantage confine à la folie.Qui parle? Un écureuil? Un démon? Je l'ignore. Mais j'apprécie ces paroles pleines de bon sens!Les bonnes âmes de Sarah Court, Craig Davidson, Leméac, 296 pages, 2015.★★★★★