Amours fragiles tome 7: En finir… (Jean-Michel Beuriot – Philippe Richelle – Editions Casterman)
Il existe énormément de bandes dessinées sur la Seconde guerre mondiale. La série « Amours fragiles », dont le septième tome vient de paraître chez Casterman, est certainement l’une de celles qu’il faut absolument lire, ne fût-ce que parce qu’elle offre un regard neuf et intelligent sur la guerre 40-45. Dans « Amours fragiles », le dessinateur Jean-Michel Beuriot et le scénariste Philippe Richelle choisissent de se concentrer sur le destin de quelques hommes et femmes pris dans la tourmente de la guerre plutôt que d’évoquer pour la énième fois des personnages et des événements historiques sur lesquels on sait déjà tout ou presque. Cette vision à hauteur d’homme leur permet de faire vivre de l’intérieur la montée du nazisme, la traque aux juifs puis le déclenchement des hostilités, grâce à des récits, des dialogues et un dessin d’une grande sensibilité. Ce n’est pas pour rien que des grands auteurs comme Tardi ou Yslaire déclarent publiquement à quel point ils sont fans du travail de Beuriot et Richelle. Autre élément intéressant: Martin Mahner, le héros principal de la série, est un Allemand, ce qui offre évidemment un point de vue très original par rapport à la plupart des livres et des films sur la Seconde guerre mondiale. D’autant plus que Martin n’est ni un méchant nazi ni un héros infiltré dans la Wehrmacht, c’est juste un jeune Allemand qui se retrouve embarqué malgré lui dans un conflit qui le dépasse. « Martin incarne la destinée tragique de cette Allemagne anti-hitlérienne dont la voix n’a plus pu se faire entendre à partir de 1933 et que l’opinion internationale, voire l’Histoire, ont probablement jugé avec trop de sévérité », explique Philippe Richelle, dans une interview au site Mondomix. « C’est de ces Allemands-là que j’ai voulu parler à travers le personnage de Martin: il est viscéralement anti-nazi, ses convictions le portent vers l’humanisme, les Lumières, mais il est pris malgré lui dans l’engrenage d’une machine totalitaire qui prohibe toute parole et toute pensée discordantes et sanctionne sévèrement les déviants ».
Une fois n’est pas coutume: Martin va sortir de sa réserve habituelle dans « En finir… », le septième tome de la série. Caserné en Allemagne, loin des combats, suite à une blessure encourue sur le front de l’Est, il accepte en effet de jouer un petit rôle dans la célèbre opération Walkyrie. Autrement dit: la tentative d’assassinat du Führer en personne. Comme dans les tomes précédents, la force de ce septième épisode ne réside pas dans cet événement historique, mais avant tout dans la pyschologie des personnages. A côté de Martin, dont on a pris l’habitude de suivre les états d’âme, on suit ainsi le colonel Voigt, pour lequel Martin travaille et qui est le premier à lui parler de la conspiration contre Hitler, ainsi que les différents membres de la famille de Fredi Ott, le meilleur ami de Martin, chez qui celui-ci passe désormais la plupart de ses week-ends. Les Ott sont une vieille famille prussienne. Le père, qui était général dans la Wehrmacht, a démissionné à l’arrivée des nazis, tandis que Hilda et Margrit, les deux soeurs de Fredi, sont diamétralement opposées, ce qui ne manque pas de créer des tensions. Hilda, qui ne laisse pas Martin insensible, est farouchement opposé aux nazis, tandis que Margrit, la soeur aînée, ne cache pas ses sympathies pour le régime, au même titre que son insupportable mari. Une fois de plus, le scénario de Richelle se révèle plein d’humanité, tandis que le dessin de Beuriot est tout en délicatesse. « Amours fragiles » confirme son statut de série incontournable.