Voici ce que dit l'éditeur de L'été contraire : " Une infirmière, un agent d'entretien, deux retraités, une simplette... Cinq petits héros du quotidien qui refusent de céder à la morosité alors que l'été arrive, qu'il fait de plus en plus chaud, que la canicule menace. Le pays se délite mais eux se découvrent, s'aiment et se confrontent à la manière batailleuse des timides. Loin de s'apitoyer sur leur sort, ils nous guident vers des chemins de traverse où le burlesque côtoie le drame et, peut-être, une nouvelle forme d'utopie. "
Les personnages de ce romanont de l'imagination. Ils décident de partir flamber au casino avec l'accord de leur infirmière, ce qui est pour le moins surprenant car ce n'est pas le rôle d'une infirmière que de laisser partir ses patients en vadrouille. Au fil de l'histoire, l'échappée belle ne se passe pas aussi bien qu'ils l'avaient imaginée, et ce, jusqu'à la mise en cause de l'infirmière qui sera licenciée pour faute professionnelle. Les pensionnaires ne prennent pas bien la chose même si tout le monde peut convenir qu'il y a eu dérapage. Au moment de se quitter, eh bien nos héros décident d'emmener l'infirmière avec eux ! Cette petite bande de frondeurs est rejointe par un agent d'entretien et commence alors tout un périple sur les routes de France, le tout sur fond de canicule. Nos personnages, se rendant compte de l'insuffisance des politiques, témoignent d'une solidarité humaine qui les mène à aider autrui. Le précieux ici est que cette contestation ne se manifeste pas dans la parole mais dans l'action. Ils sont imaginatifs, jusqu'à trouver des astuces. C'est pour cela du reste qu'ils vont finir par se faire repérer. Tout a commencé par des larcins. Ils dérobent des brumisateurs. Ils volent des véhicules. Ils s'emparent d'un frigo dans lequel ils font rentrer les gens qui souffrent de la canicule. De fil en aiguille, le filet se resserre autour d'eux. " Les banlieues " , comme on dit, iront jusqu'à soutenir leur révolte.
Qu'est-ce qui s'exprime ici ? Un processus de réactions. Les personnages ont " le côté frondeur des français " , comme dit l'auteur. Ce sont des gens simples, des êtres que nous croisons tous au quotidien, des anti-héros chargés d'utopie, surpris eux-mêmes des conséquences de leurs turpitudes et de la notoriété qu'elles engendrent. S'ils finissent en cavale, c'est parce qu'ils ont enfreint la loi. Ce sont alors des fuyards rageurs, inventifs, pleins de tendresse. Ces êtres ont un cœur et la question de la différence d'âge entre eux est tout à fait secondaire. Ce qui prévaut, ce sont les passerelles entre générations dans des situations hors normes. Ces personnages vont laisser une trace qu'Yves Bichet appelle une " queue de comète " . Ces gens-là ont agi. Le " faire " , aujourd'hui, est d'actualité.
L'été contraire peut se lire comme le prototype d'un roman d'expériences. Les escapades sont une production de l'imaginaire et, de petites incartades, les personnages vont aller jusqu'à l'épreuve et, pour finir, à la faute. Alors qu'ils ont atteint le point de non-retour, le point de déséquilibre, ils sont toujours dans leurs utopies. Toutes les vies sont des romans en puissance et leur énergie va les faire s'accomplir. Cet accomplissement n'est autre qu'un processus de transgression, ce subtile intermédiaire qui conduit à la saisie d'un intérêt salvateur. Il y a de l'exaltation dans la transgression qui implique la réalisation d'une aspiration au-delà des cadres imposés par une règle. Le désir est alors comblé et la limite ne cesse de se dérober. Et puis cette phrase p. 178 : " Elle voudrait se déshabiller à son tour, mais n'ose pas devant les représentants de cette loi qu'ils ont bafouée avec tant d'innocence et d'aveuglement " . La transgression a généré une tension entre le désir d'émancipation et la loi.
Transgresser, c'est faire bouger les lignes. C'est créer de l'utopie. Contrevenir, c'est bafouer la loi, se causer du tort à soi-même et à autrui, enfreindre la règle pour finir par verser dans le délit.
Jean-Philippe Kempf