Paul Beatty, né en 1962 à Los Angeles, est un écrivain afro-américain. Diplômé d'un Master of Fine Arts du Brooklyn College en écriture créative, il a également obtenu une maîtrise en psychologie à l'université de Boston. En 1990, il est couronné Grand champion de slam du café des poètes de Nuyoricana et gagne à cette occasion un contrat d'édition pour la publication de son premier recueil de poésie, Big Bank Takes Little Banka. Un second livre de poésie suit trois ans plus tard.
Bonbon, le narrateur, est le fils d'un psychologue social aux méthodes peu orthodoxes qui a pris son enfant pour cobaye afin de tester ses théories sur les rapports raciaux. Elevé à Dickens, surprenante enclave agraire dans la banlieue de Los Angeles, « aussi étrange que cela puisse paraître, j’ai grandi dans une ferme en plein cœur de la ville », le jeune Afro-américain décide de réagir lorsque son quartier se trouve menacé d'être purement et simplement rayé de la carte. Pour servir ce qu'il croit être le bien de sa propre communauté, il ira jusqu'à rétablir l'esclavage et la ségrégation à l'échelle locale, s'engageant dans une forme d'expérience extrême qui lui vaudra d'être traîné devant la Cour suprême.
Le premier roman de Paul Beatty, American Prophet, datant de 1996 mais traduit en français en 2013, m’avait beaucoup impressionné ; je ne pouvais pas manquer celui-ci, paru depuis peu. A relire ma chronique d’alors, je m’aperçois que je pourrais la reprendre à l’identique pour ce nouveau roman. Une fois encore, le lecteur innocent risque d’être découragé par le prologue d’une vingtaine de pages, le texte vous saute à la gueule en une logorrhée assommante, presqu’incompréhensible. Cramponnez-vous aux bras de votre fauteuil, ce n’est qu’un mauvais moment à passer. Ceci-dit, si la lecture s’arrange grandement ensuite, le style de Paul Beatty peut ne pas plaire à tous – mais c’est aussi le point fort de l’écrivain – ça fuse dans tous les sens, ça dévie en digressions, allusions ou références locales pas toujours évidentes pour nous malgré les notes en fin d’ouvrage, une avalanche de phrases, d’idées subversives et de propos décoiffant : délectable et jouissif. Autant dire que ça râpe ! Ah ! Ah ! Ah !
L’écrivain n’y va pas avec le dos de la cuillère, à une époque où parler des rapports raciaux oblige à tourner sa langue dans sa bouche au moins dix fois pour finalement la fermer afin de ne pas déclencher un tollé ou une émeute, Beatty balance à tout va sur la négritude et la critique sociale, sans gants ni pincettes mais avec néanmoins un « avantage » sur d’autres, être Noir lui-même. Son arme, le rire, ou plutôt la satire, l’ironie, l’humour (noir ?) « Tout le monde couchait avec tout le monde et l’envie du pénis n’existait pas, étant donné que les nègres avaient plutôt tendance à avoir trop de bite ». Et que je te malaxe tous les clichés et idées reçues sur les Blacks et l’intégration, lâchant des vannes, en veux-tu en voilà, sur à peu près tout. Le lecteur ne sait plus où donner de la tête, emporté par le courant, riant sans vergogne ici, ou avec circonspection là, ne sachant plus très bien si l’auteur ne se moque pas de lui, par un second degré destiné à démasquer son racisme !
Il y a trop de tout dans ce bouquin pour que je l’aborde plus en détail. Vous éclaterez de rire lors du passage relatant son éducation par son père quand Bonbon était enfant, vous nagerez en plein onirisme poétique et farfelu à l’heure de la mort du père, vous vous prendrez d’affection pour Hominy son esclave noir septuagénaire qui aura recours à un club sado-maso afin d’être fouetté dans les règles puisque Bonbon s’y refuse et Marpessa, son béguin, conductrice de bus… et j’en passe.
Politiquement incorrect, Paul Beatty pousse le bouchon à son maximum et ça décape grave.
« En revanche, le pays se démerde en fait plutôt pas mal, à mon avis, dans sa façon d’aborder la race. Et quand certains disent « Pourquoi on ne peut pas aborder le sujet plus honnêtement ? », en réalité il faut entendre : « Eh les négros, pourquoi vous n’êtes pas plus raisonnables ? » ou alors : « Va te faire foutre blondin. Si c’était plus facile d’évoquer la question, je te dirais vraiment ce que j’ai sur le cœur et je me ferais virer encore plus vite que tu me virerais en temps normal. » Ce qu’on entend par race, en fin de compte, c’est « négro ». Parce que personne, quelle que soit sa confession, ne semble avoir de mal à trouver les mots quand il s’agit d’Amérindiens, de Latinos, d’Asiatiques ou de la race la plus récente des Etats-Unis, les Célébrités. »
Paul Beatty Moi contre les Etats-Unis d’Amérique Editions Cambourakis – 340 pages -
Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Nathalie Bru