Les balbutiements chroniques de Sophie Torris…

Par Chatquilouche @chatquilouche

Cher Chat,

Embarquement pour Cythère, Watteau

Et si nous parlions d’amour…
Lui, c’est Adonis. Corps d’éphèbe, il n’a qu’à brandir sa corne d’abondance pour que s’offre à lui le mont Olympe de toutes les Messaline, mais l’Amour est son talon d’Achille. Sur son lit de Procuste, seul Morphée réussit à bercer ses chimères.
Elle, c’est Ariane. Elle aimerait prendre l’Amour par les cornes. Il la voit, il rougit, il pâlit à sa vue. Enfin, il cède à ses chants de sirène, mais après quelques bacchanales charnelles, Ariane se prend la tête, finit par perdre le fil et l’odyssée se termine dans des dédales de doutes.
Adonis, Ariane restent seuls, incapables de franchir le Rubicon. Il est des pléiades de solitudes qui rament sans atteindre jamais les rivages de l’Amour. Il est des pléiades de solitudes pour qui l’Amour est un cheval de Troie et qui, craignant l’invasion, deviennent forteresses inviolables.
Permettez, le Chat, que j’enfourche Pégase. Nous partons pour Cythère* y taquiner la muse.
Le mariage a longtemps été une affaire d’alliances entre familles, de transmission de pactole. Cupidon n’étant pas convié, on faisait alors flèche de tout bois pour trouver le meilleur parti et parfois, avec de la chance, le hasard laissait l’Amour pénétrer les cœurs, en contrebande.
Aujourd’hui, alors que la priorité n’est plus de sauvegarder le patrimoine, les plus beaux mariages sont ceux qui se célèbrent sous l’égide de l’Amour. Nous voilà donc délivrés du cerbère paternel et livrés à nous-mêmes. Nous partons, seuls, à la chasse à la Panacée. La quête est herculéenne, le choix draconien, mais on n’en attend pas moins de nous. On nous le clame partout, haut et fort : pour avoir une vie qui vaille d’être vécue, il faut être amoureux. C’est d’ailleurs un refrain que la chanson, mais aussi la littérature et le cinéma entonnent à l’unisson, celui de l’amour qui rime avec toujours.
Alors, que faire ? Comment tomber amoureux pour la vie ? Quels sont les meilleurs auspices ? Les plus belles histoires d’Amour naissent-elles au premier instant ou au fil d’une rencontre ? Le nœud est gordien : doit-on croire à la chimie du désir ou à sa culture ?
Certains prendront le parti de se reposer sur leurs lauriers, persuadés que l’Amour saura les reconnaître parmi des milliards d’élus. Ils attendent, béotiens, de croiser les yeux d’une Gorgone qui saura les méduser. Et le temps passe et se gausse d’un grand rire homérique qui laisse le Narcisse sans Écho.
Pensez-vous être pour quelqu’un l’évidence contre laquelle il ne pourra pas lutter ? Est-on quelque part tout entier dans la peau d’un autre ? Comme une mère reconnaît l’odeur de son enfant, est-ce avec le nez que Mars s’entiche de Vénus ? Si l’attirance est olfactive, si votre cœur danse le sirtaki, vos phéromones, telles cinquante harpies, ne vous privent-elles pas de ce bon sens garant d’une lune de miel durable ? J’ai été, à une époque, un vrai paratonnerre. J’en ai reçu de ces coups de foudre qui, l’orage chimique passé, m’ont dévastée alors qu’aujourd’hui ils me laissent de glace. La passion est souvent épée de Damoclès.
C’est ainsi que certains préfèrent sciemment s’adonner aux délices de Capoue plutôt que d’arracher une victoire à la Pyrrhus. Tel Sisyphe, ils roulent leur désir sur le flanc montagneux d’un corps jusqu’à son point culminant où impuissants à le retenir, ils le regardent dévaler inexorablement. Ils entreprennent ainsi éternellement une autre ascension, ne s’attardant souvent qu’à la géographie des peaux.
La quête de l’Amour prend souvent des allures de supplice de Tantale. Si certains perdent leur calme olympien et remettent leur ambition de trouver l’élu aux calendes grecques, d’autres s’évertuent à ouvrir toutes les boites de Pandore. Je ne jouerai pas les Cassandres. On dit que l’espoir est au fond. Mais Tonnerre de Zeus, la jarre est profonde ! Il y a de quoi finir en disciple invétéré de Bacchus au fond d’une taverne sans jamais en comprendre l’allégorie.
Peut-être suffit-il alors d’être là, au bon moment. Avec tout son être, sa tête, son cœur, ses couilles. Je ne parle pas ici de bonne étoile, mais de ce que les Grecs nomment le Kairos, l’art de saisir l’occasion au moment opportun. Nous ne sommes pas sortis de la cuisse de Jupiter et, pourtant, nous nous rêvons tous en demi-dieux transfigurés par l’Amour. Je ne suis ni Phèdre, ni Cendrillon, ni Pretty Woman. Et celui que j’ai appris à aimer n’est ni Hippolyte, ni le prince charmant, ni Richard Gere. Alors, peut-être est-il plus facile de repérer l’Amour quand on réalise qu’il n’a pas besoin d’être tragique. Pas besoin d’être parfait. Pas besoin d’être hollywoodien. Peut-être est-il plus facile de repérer l’Amour quand, au contraire, on est prêt à se laisser révéler nos manques. L’élu n’est-il pas tout simplement celui ou celle qui comble ces manques ?
On a tendance à imaginer la quête d’Amour comme une entreprise prométhéenne alors que la réalité est loin d’être épique. En fait, il n’y a rien de plus banal que la rencontre d’un homme et d’une femme, même si nombre de couples taquinent la muse afin de faire de cet instant fragile sur lequel va se construire toute une vie à deux, un moment romanesque et unique. Ne devenez-vous pas un peu poète, le Chat, quand il s’agit de le raconter aux autres ? Et si le secret de la longévité d’un couple tenait justement dans cette capacité à se réinventer, à se revisiter. On peut aussi tomber en amour avec sa propre histoire, non ?
Sur ce, je me retire sur l’Aventin. Cette discussion byzantine a assez duré.
Sophie
*Partir pour Cythère : L’île de Cythère, en Grèce, est le symbole des plaisirs amoureux.

Notice biographique

Sophie Torris est d’origine française, Québécoise d’adoption depuis dix-sept  ans. Elle vit à Chicoutimi, y enseigne le théâtre dans les écoles et l’enseignement des arts à l’université. Elle écrit essentiellement du théâtre scolaire et mène actuellement des recherches doctorales sur l’impact de la voix de l’enfant acteur dans des productions visant à conscientiser l’adulte. Elle partage également une correspondance épistolaire avec l’écrivain Jean-François Caron sur le blogue In absentia. (http://lescorrespondants.wordpress.com)

(Une invitation à visiter le jumeau du Chat Qui Louche :https://maykan2.wordpress.com/)