Ma mère ne m'a jamais donné la main

Par Denis Arnoud @denisarnoud

Ma mère ne m'a jamais donné la main de Thierry Magnier (texte) et Francis Jolly (photos) aux éditions Le bec en l'air



   Lorsque le narrateur, reporter photographe, écoute un message laissé sur son répondeur, c'est un passé douloureux qui ressurgit dans sa vie. Le notaire de la famille le convoque dans le pays de son enfance pour régler la succession de sa mère décédée un an plus tôt. Ce voyage qu'il n'a jamais eu la force de faire, il ne peut plus l'éviter. Ce périple qu'il va effectuer accompagné de Jacques, son meilleur ami, véritable béquille pour cet homme claudiquant vers son passé, va  réveiller les fantômes endormis et réouvrir les cicatrices oubliées.
  C'est dans un pays ravagé par des "événements" tragiques et violents que les deux hommes atterrissent. Une région du monde qui semble désertée. Les deux amis ne croisent que ruines, vent et poussière jusqu'à la coquille vide qu'est devenue la maison familiale. Une bâtisse qui n'abrite plus que les fantômes du passé et la poussière.
"La poussière a envahi les lieux, partout de la poussière. Beaucoup. Avant la poussière c'était uniquement dehors. Surtout quand le vent très chaud de l'été soufflait, là il fallait vite fermer les fenêtres et les portes. Aujourd'hui les fenêtres ne servent plus à rien, la plupart ont disparu, pillées, cassées, le vent s'installe comme il veut. Il est le seul habitant.  Lui et le passé. Rien d'autre que le vent et le passé, c'est ça. "




   Au fur et à mesure de leur voyage, les souvenirs sautent à la gorge du narrateur. Son enfance dans cette maison coloniale entre une mère qui ne le voit pas, ne s'occupant que de sa soeur jumelle et un père dont il se sent proche mais qui n'a pas le temps de s'occuper de lui. Tous ses jeux d'enfants avec cette soeur si proche avec qui aujourd'hui il n'a plus aucun contact. Toutes ses premières années dans ce pays jusqu'à  "l'Accident" qui a forcé la famille à rentrer en France.
  Dans ce livre fort, tout comme l'auteur, j'ai été assailli par ces émotions, par ces odeurs, par cette poussière, par ce passé mort mais pourtant si présent dans les souvenirs. Le style de Thierry Magnier rend tout cela très palpable, presque étouffant. Les photos de Francis Jolly  où le vent et la poussière, les fissures du temps qui passent, le vide, sont omniprésents, sont en parfaite harmonie avec le texte.
  Ma mère ne m'a jamais donné la main est un très beau livre, puissant, émouvant. Un grand merci à Anne-Véronique Herter de me l'avoir fait découvrir. Je vous le recommande vivement. 
   "J'étais devenu photographe pour les autres, en aucun cas pour moi : l'idée de voler des images qui ne m'appartenaient pas me glaçait. Je préférais en garder le souvenir, mon oeil et ma mémoire suffisaient, et pas grave pour les pertes. Il y a dans l'acte de photographier quelque chose qui se rapproche de l'acte de tuer ou de faire mourir lentement. Les souvenirs sont fantasmes, et l'oubli rend les clichés plus beaux. Je les regarde, les écoute, ils m'aident à me tenir éveillé la nuit. "