Un verset d'évangile, évidemment pas choisi du tout au hasard, en guise de titre de ce billet. Plusieurs raisons à ce choix, mais la principale est qu'il apparaît dans notre roman du jour et que, d'une certaine façon, il est le point de friction des visions des deux personnages principaux. Mais, je ne vous en dirai pas plus sur cette question, il vous faudra lire ce roman pour en comprendre la portée (enfin, j'espère)... "Revival" est le nouveau roman de Stephen King et vient de sortir chez Albin Michel. Un livre qui marque le retour du Maître au fantastique et même, pour le dénouement, à l'horreur. Le rythme, assez lent, proche du roman noir, pourrait déranger certains lecteurs, mais c'est aussi un livre dans la lignée de ceux que publie l'auteur depuis maintenant quatre ou cinq ans, avec une vraie nostalgie qui l'imprègne. Mais c'est aussi un hommage du plus fameux des auteurs fantastiques actuels à tous les écrivains qui ont nourri son imaginaire et son inspiration...
Jamie Morton est né dans un coin perdu du Maine, à Harlow. Il est le plus jeune des cinq enfants de sa fratrie, après une fille aînée et trois garçons. Une famille unie, pieuse, qui, en ce début des années 60, ne vit pas dans l'aisance, mais ne manque de rien. Mais la vie des Morton, ainsi que celle de tous les habitants de Harlow, va être bouleversée par l'arrivée d'un homme.
Il s'appelle Charles Jacobs et il est le nouveau pasteur de Harlow. Homme encore jeune, ce qui surprend certains fidèles, il est l'époux d'une ravissante jeune femme et l'heureux père d'un garçonnet de deux ans. Ces trois-là vont rapidement trouver leur place dans la petite communauté et gagner l'affection et le respect de tous.
Charles Jacobs est un redoutable prêcheur. Dans chacun de ses mots, dans chacun de ses sermons, perce une foi profonde, sincère. Contagieuse, même. L'homme est un vrai guide pour ses ouailles et ses offices remplissent le lieu de culte de la petite ville. Si l'on devait qualifier le Révérend Jacobs par un seul adjectif, ce serait sans nul doute "charismatique".
En dehors de ses enseignements religieux, Charles Jacobs nourrit une autre passion dévorante : il est fasciné par l'électricité. Il mène d'ailleurs des recherches ayant toutes trait à cette énergie, réalise des objets, des jouets mais aussi quelques expériences impressionnantes qu'il utilise auprès du jeune public, dans son catéchisme. Prêcheur, et un peu magicien, aussi. Et même guérisseur. Charles Jacobs est celui qui dompte la fée électricité...
L'aura du pasteur ne cesse de grandir à Harlow jusqu'au jour où se produit un terrible drame. Dévasté, le pasteur perd subitement cette foi intense qui l'animait et va choquer ses fidèles lors d'un sermon particulièrement violent. Par ces quelques mots, il détruit sa réputation auprès des croyants de Harlow, eux aussi ébranlés, et quitte le coin, presque comme un voleur...
Jamie, encore enfant au moment de ces faits, garde, comme tous les témoins, un souvenir vivaces de ce sermon et de ces journées difficiles. Mais, bientôt, il entre dans l'adolescence, découvre la musique, le rock, le blues, la folk, la pop, et devient un guitariste rythmique suffisamment bon pour que cette passion devienne son métier.
Pourtant, au fil des ans, alors qu'il tourne dans tout le pays, au sein de différents groupes, jouant des répertoires de reprises dans des salles de seconde zones, des foires, des fêtes en tout genre, il va perdre pied. La faute à une belle saloperie : l'héroïne. Accro jusqu'à l'os, Jamie devient un fantôme ambulant et finit par tout perdre, car il est devenu impossible de lui faire confiance.
C'est alors qu'il va croiser une nouvelle fois la route de Charles Jacobs. Près de trente années ont passé depuis les événements de Harlow. La famille Morton a connu bien des événements, loin d'être tous heureux, et Jamie, vaguement honteux de son sort, a quasiment coupé les ponts. Quant au Révérend, lui aussi a complètement changé de voie au cours de ces décennies...
Désormais, ces deux-là ne vont plus cesser de se retrouver, comme s'ils ne pouvaient se passer l'un de l'autre. Jamie se sent sans doute redevable, car le Révérend l'a aidé à se débarrasser de son addiction ; quand à Charles Jacobs, ce qu'il attend de Jamie est bien moins évident, comme s'il comptait sur lui pour quelque mystérieux dessein...
Ce qui n'a pas changé, en revanche, c'est la passion qu'il nourrit toujours, et plus que jamais, pour l'électricité. Il en a même fait son nouveau métier et ça semble plutôt bien marcher. En tout cas, les soins dont a bénéficié Jamie sont incontestables, et ce ne sont pas quelques effets secondaires, assez curieux et pas très agréables, qui le feront changer d'avis.
Mais qu'attend exactement le pasteur ? Et surtout, quel est son véritable projet ?
Disons-le d'emblée, je vais étiqueter (oui, je sais, c'est moche, ce terme) "Revival" en fantastique, et pas en horreur. Je le pourrais, mais cela pourrait induire en erreur, je trouve. Car, c'est une montée en puissance à laquelle on assiste tout au long de ce livre, portée par l'étrange et de plus en plus inquiétante personnalité de Charles Jacobs...
Jamie est le narrateur de "Revival", il est également un spectateur des événements plus qu'un acteur, à proprement parler. Son récit n'est pas seulement le sien, mais avant tout celui de ce pasteur au destin hors du commun et à l'orgueil incommensurable. C'est aussi celui de toutes les personnes que, dans son parcours plein de détermination vers son objectif de toujours, il a rencontrés et aidés...
Car, oui, il y a chez cet homme un côté démiurge, c'est une évidence. Et, d'une certaine façon, ce côté guérisseur qui marque tous ceux qui sont amenés à le côtoyer, jusqu'à en faire un dernier recours. Soyez prévenus, voici quelques éléments que certains pourraient voir comme des spoilers. Car il faut bien se pencher sur le cas de cet homme.
Charles Daniels est un pur produit de la culture américaine. Il est une espèce de chaînon manquant entre les bonimenteurs du Far West, vendant des panacées à prix d'or (dont les premières bouteilles de Coca-Cola, par exemple) à un public crédule, et les télé-évangélistes actuels, à la tête de véritables trusts religieux, alimentés par les dons de fidèles convaincus tant par les idées que l'image des prêcheurs.
Oh, il est impressionnant, ce Révérend ! Il y a une expression qui dit de quelqu'un qui semble bien sous tous rapports, qu'on lui donnerait le bon Dieu sans confession. Pour Charles Jacobs, c'est exactement l'inverse : quoi qu'il vous dise, on le croit, on l'attend, on est convaincu... Prêcheur de génie, magicien et en plus, sorcier capable d'envoûter ses spectateurs... Diable d'homme !
Stephen King, lui, s'amuse. Son pasteur rejoint la longue cohorte des personnages qui marqueront ses lecteurs. Peut-être pas au premier rang, n'en déplaise à l'ego de Charles Jacobs, mais tout de même bien placé. La métamorphose de cet homme, avenant et bon, en une espèce de vieillard maléfique dévoré d'une ambition surnaturelle est tout à fait passionnante.
Et King s'amuse, oui, je le réécris, en jouant avec facétie sur les différents sens du mot "Revival" (que Albin Michel a, je pense, eu raison de conserver en titre du livre ; le traduire lui aurait fait perdre de ses facettes) pour nous emmener jusqu'à un dénouement où l'on retrouve un imaginaire horrifique qui, depuis quarante ans, maintenant, conquiert les lecteurs.
L'idée de la renaissance est omniprésente dans tout le livre. Chez les personnages centraux, chez les personnages secondaires, et jusque dans ce que j'appellerai la figuration. Pour différentes raisons, toutes et tous sont à la croisée des chemins, à un moment de leur vie où ils sont dans une impasse. Et le pasteur Jacobs offre cette nouvelle voie, qui a des allures de baptême électrique...
Reste juste à savoir dans quel but agit réellement Jacobs. Certains, apparemment, disent avoir rapidement deviné... Bon, admettons... J'étais, pour ma part, parti sur une voie différente, pensant qu'il allait pousser l'un des principaux clins d'oeil à son terme. Je me suis trompé, je ne suis pas si perspicace que ça. Mais du coup, je me suis follement amusé à cette lecture.
Oui, il y a un vrai hommage à toute l'histoire de la littérature fantastique, on pense à Lovecraft, clairement cité, tout comme Edgar Allan Poe, à Mary Shelley, et à d'autres comme Arthur Machen (que, à ma grande honte, j'avoue ne pas connaître...), qui, dit Stephen King lui-même, serait celui qui lui aurait fourni le point de départ de ce livre.
Et puis, on pourrait ajouter, je l'ai lu également, Nathaniel Hawthorne, le père du roman américain, né à Salem, tiens, tiens, mais pas dans le Maine, dans le Massachussetts. Il est vrai que Charles Jacobs, par certains côtés, peut faire penser à Arthur Dimmesdale, le pasteur de "la lettre écarlate", qui devrait incarner le puritanisme et en devient une des victimes.
Mais laissons là cette référence plus classique. Revenons au fantastique, présent tout au long du roman, par petites touches. Je dois dire que, dans la partie finale, ces clins d'oeil su multiplient, comme des jalons, et j'ai trouvé cela habilement fait, même si la ficelle est un peu grosse. Là encore, on sent un côté très ludique dans le travail de King.
Dernier aspect frappant, pour moi, de ce livre, qui tient à la fois du jeu initié par King, mais aussi de la trajectoire qu'il empreinte depuis plusieurs livres, maintenant, la nostalgie. Il fait quelques clins d'oeil directs à certains de ses derniers romans ("Joyland", "22/11/1963" et même "Dôme") et instaure encore une fois ce climat particulier à cette dernière partie de son travail.
Encore une fois, on retrouve les années 60 et cette espèce d'Amérique de cocagne qui semble gravé dans sa mémoire comme celle de sa jeunesse. Une Amérique des champs, si je puis dire, qui n'a peut-être même jamais existé, tant elle semble éloignée des problèmes du pays et de son Histoire, une Amérique peut-être enjolivée simplement parce qu'on s'y sentait mieux que dans celle d'aujourd'hui.
Dans "Revival", cette nostalgie est portée par la musique. Le rock et la pop des swinging sixties et le livre comprend une impressionnante play-list, de Dylan à CCR, en passant par les Beatles, Wilson Pickett ou Fleetwood Mac. Une musique qui a un caractère très important : elle va être portée par l'électricité, qui, depuis peu, booste le son des guitares.
Jamie Morton est guitariste rythmique au sein des groupes dans lesquels il joue et, sans électricité, il passerait certainement inaperçu. Lui aussi a donc bénéficié des bienfaits de cette énergie, au coeur de "Revival", jusqu'à ce que la drogue le détruise. Mais cette musique, qu'il continue à jouer, même dans les années 80, sa décennie noire, ne bouge pas, ancrage dans cette période si spéciale des sixties.
Cette nostalgie, on la retrouve aussi dans ces fêtes foraines qui sont le cadre d'une partie du roman, ces lieux qui reviennent chaque année, à date presque fixe, où l'on se rend en famille, où l'on se fabrique des souvenirs d'une années sur l'autre, à base de peluches géantes, de barbes à papa ou d'autos tamponneuses...
Encore un lien profond avec l'enfant qui sommeille en nous et que Stephen King semble sans cesse, ces dernières années, essayer de faire renaître (encore) dans ses romans. Soit par la présence de jeunes personnages, soit par des situations évocatrices de l'enfance dans ses intrigues. Et c'est aussi l'enfant en nous qui reçoit cet imaginaire et s'en nourrit, plus que l'adulte blasé et revenu de tout.
Il règne sur "Revival" une ambiance étrange, comme un ciel qui se charge jusqu'à ce que les intempéries éclatent. On commence au soleil, dans le jardin des Morton, et on termine dans un climat bien moins serein, comme si le parcours de Jamie et du pasteur allait vers le mauvais temps, inéluctablement.
Mais, cette atmosphère, et je ne fais aucun jeu de mots, est tout simplement électrique. Car, l'énergie est sans doute le troisième personnage central de cette histoire. Elle permet des scènes particulièrement spectaculaires, à plusieurs reprises au fil du roman et c'est son contrôle, d'une certaine manière, que recherche Jacobs.
Cela donne quelque chose de très visuel, très agréables à lire, car on s'immerge dans cet univers de plus en plus sombre. Expériences, cauchemars, effets secondaires, numéros d'illusions (par moments, on croirait Jacobs sorti du "Prestige", de Christopher Priest), tout cela vient donner le cachet surnaturel tant attendu.
Si le rythme est assez lent, c'est vrai, on se laisse captiver par cette histoire qui monte en régime, comme une dynamo qui aurait accumulé sa charge électrique avant de la déverser pour illuminer une ampoule. A la fin, la clarté est violente ! Et l'on retrouve un King renouant, cela fait longtemps, avec ses premières amours horrifiques. Peut-être un peu trop chichement, trouveront certains...
Je ne pense pas que "Revival" s'inscrira au sommet de l'oeuvre de Stephen King. Mais, c'est bien du King et un bon millésime. C'est surtout cet hommage au genre fantastique, qu'il faut retenir, matérialisé d'entrée par les remerciements d'usage. On sait d'entrée où l'on risque de mettre les pieds. Et la scène finale a tout, elle, d'une scène d'anthologie made in King.
Jamie Morton est né dans un coin perdu du Maine, à Harlow. Il est le plus jeune des cinq enfants de sa fratrie, après une fille aînée et trois garçons. Une famille unie, pieuse, qui, en ce début des années 60, ne vit pas dans l'aisance, mais ne manque de rien. Mais la vie des Morton, ainsi que celle de tous les habitants de Harlow, va être bouleversée par l'arrivée d'un homme.
Il s'appelle Charles Jacobs et il est le nouveau pasteur de Harlow. Homme encore jeune, ce qui surprend certains fidèles, il est l'époux d'une ravissante jeune femme et l'heureux père d'un garçonnet de deux ans. Ces trois-là vont rapidement trouver leur place dans la petite communauté et gagner l'affection et le respect de tous.
Charles Jacobs est un redoutable prêcheur. Dans chacun de ses mots, dans chacun de ses sermons, perce une foi profonde, sincère. Contagieuse, même. L'homme est un vrai guide pour ses ouailles et ses offices remplissent le lieu de culte de la petite ville. Si l'on devait qualifier le Révérend Jacobs par un seul adjectif, ce serait sans nul doute "charismatique".
En dehors de ses enseignements religieux, Charles Jacobs nourrit une autre passion dévorante : il est fasciné par l'électricité. Il mène d'ailleurs des recherches ayant toutes trait à cette énergie, réalise des objets, des jouets mais aussi quelques expériences impressionnantes qu'il utilise auprès du jeune public, dans son catéchisme. Prêcheur, et un peu magicien, aussi. Et même guérisseur. Charles Jacobs est celui qui dompte la fée électricité...
L'aura du pasteur ne cesse de grandir à Harlow jusqu'au jour où se produit un terrible drame. Dévasté, le pasteur perd subitement cette foi intense qui l'animait et va choquer ses fidèles lors d'un sermon particulièrement violent. Par ces quelques mots, il détruit sa réputation auprès des croyants de Harlow, eux aussi ébranlés, et quitte le coin, presque comme un voleur...
Jamie, encore enfant au moment de ces faits, garde, comme tous les témoins, un souvenir vivaces de ce sermon et de ces journées difficiles. Mais, bientôt, il entre dans l'adolescence, découvre la musique, le rock, le blues, la folk, la pop, et devient un guitariste rythmique suffisamment bon pour que cette passion devienne son métier.
Pourtant, au fil des ans, alors qu'il tourne dans tout le pays, au sein de différents groupes, jouant des répertoires de reprises dans des salles de seconde zones, des foires, des fêtes en tout genre, il va perdre pied. La faute à une belle saloperie : l'héroïne. Accro jusqu'à l'os, Jamie devient un fantôme ambulant et finit par tout perdre, car il est devenu impossible de lui faire confiance.
C'est alors qu'il va croiser une nouvelle fois la route de Charles Jacobs. Près de trente années ont passé depuis les événements de Harlow. La famille Morton a connu bien des événements, loin d'être tous heureux, et Jamie, vaguement honteux de son sort, a quasiment coupé les ponts. Quant au Révérend, lui aussi a complètement changé de voie au cours de ces décennies...
Désormais, ces deux-là ne vont plus cesser de se retrouver, comme s'ils ne pouvaient se passer l'un de l'autre. Jamie se sent sans doute redevable, car le Révérend l'a aidé à se débarrasser de son addiction ; quand à Charles Jacobs, ce qu'il attend de Jamie est bien moins évident, comme s'il comptait sur lui pour quelque mystérieux dessein...
Ce qui n'a pas changé, en revanche, c'est la passion qu'il nourrit toujours, et plus que jamais, pour l'électricité. Il en a même fait son nouveau métier et ça semble plutôt bien marcher. En tout cas, les soins dont a bénéficié Jamie sont incontestables, et ce ne sont pas quelques effets secondaires, assez curieux et pas très agréables, qui le feront changer d'avis.
Mais qu'attend exactement le pasteur ? Et surtout, quel est son véritable projet ?
Disons-le d'emblée, je vais étiqueter (oui, je sais, c'est moche, ce terme) "Revival" en fantastique, et pas en horreur. Je le pourrais, mais cela pourrait induire en erreur, je trouve. Car, c'est une montée en puissance à laquelle on assiste tout au long de ce livre, portée par l'étrange et de plus en plus inquiétante personnalité de Charles Jacobs...
Jamie est le narrateur de "Revival", il est également un spectateur des événements plus qu'un acteur, à proprement parler. Son récit n'est pas seulement le sien, mais avant tout celui de ce pasteur au destin hors du commun et à l'orgueil incommensurable. C'est aussi celui de toutes les personnes que, dans son parcours plein de détermination vers son objectif de toujours, il a rencontrés et aidés...
Car, oui, il y a chez cet homme un côté démiurge, c'est une évidence. Et, d'une certaine façon, ce côté guérisseur qui marque tous ceux qui sont amenés à le côtoyer, jusqu'à en faire un dernier recours. Soyez prévenus, voici quelques éléments que certains pourraient voir comme des spoilers. Car il faut bien se pencher sur le cas de cet homme.
Charles Daniels est un pur produit de la culture américaine. Il est une espèce de chaînon manquant entre les bonimenteurs du Far West, vendant des panacées à prix d'or (dont les premières bouteilles de Coca-Cola, par exemple) à un public crédule, et les télé-évangélistes actuels, à la tête de véritables trusts religieux, alimentés par les dons de fidèles convaincus tant par les idées que l'image des prêcheurs.
Oh, il est impressionnant, ce Révérend ! Il y a une expression qui dit de quelqu'un qui semble bien sous tous rapports, qu'on lui donnerait le bon Dieu sans confession. Pour Charles Jacobs, c'est exactement l'inverse : quoi qu'il vous dise, on le croit, on l'attend, on est convaincu... Prêcheur de génie, magicien et en plus, sorcier capable d'envoûter ses spectateurs... Diable d'homme !
Stephen King, lui, s'amuse. Son pasteur rejoint la longue cohorte des personnages qui marqueront ses lecteurs. Peut-être pas au premier rang, n'en déplaise à l'ego de Charles Jacobs, mais tout de même bien placé. La métamorphose de cet homme, avenant et bon, en une espèce de vieillard maléfique dévoré d'une ambition surnaturelle est tout à fait passionnante.
Et King s'amuse, oui, je le réécris, en jouant avec facétie sur les différents sens du mot "Revival" (que Albin Michel a, je pense, eu raison de conserver en titre du livre ; le traduire lui aurait fait perdre de ses facettes) pour nous emmener jusqu'à un dénouement où l'on retrouve un imaginaire horrifique qui, depuis quarante ans, maintenant, conquiert les lecteurs.
L'idée de la renaissance est omniprésente dans tout le livre. Chez les personnages centraux, chez les personnages secondaires, et jusque dans ce que j'appellerai la figuration. Pour différentes raisons, toutes et tous sont à la croisée des chemins, à un moment de leur vie où ils sont dans une impasse. Et le pasteur Jacobs offre cette nouvelle voie, qui a des allures de baptême électrique...
Reste juste à savoir dans quel but agit réellement Jacobs. Certains, apparemment, disent avoir rapidement deviné... Bon, admettons... J'étais, pour ma part, parti sur une voie différente, pensant qu'il allait pousser l'un des principaux clins d'oeil à son terme. Je me suis trompé, je ne suis pas si perspicace que ça. Mais du coup, je me suis follement amusé à cette lecture.
Oui, il y a un vrai hommage à toute l'histoire de la littérature fantastique, on pense à Lovecraft, clairement cité, tout comme Edgar Allan Poe, à Mary Shelley, et à d'autres comme Arthur Machen (que, à ma grande honte, j'avoue ne pas connaître...), qui, dit Stephen King lui-même, serait celui qui lui aurait fourni le point de départ de ce livre.
Et puis, on pourrait ajouter, je l'ai lu également, Nathaniel Hawthorne, le père du roman américain, né à Salem, tiens, tiens, mais pas dans le Maine, dans le Massachussetts. Il est vrai que Charles Jacobs, par certains côtés, peut faire penser à Arthur Dimmesdale, le pasteur de "la lettre écarlate", qui devrait incarner le puritanisme et en devient une des victimes.
Mais laissons là cette référence plus classique. Revenons au fantastique, présent tout au long du roman, par petites touches. Je dois dire que, dans la partie finale, ces clins d'oeil su multiplient, comme des jalons, et j'ai trouvé cela habilement fait, même si la ficelle est un peu grosse. Là encore, on sent un côté très ludique dans le travail de King.
Dernier aspect frappant, pour moi, de ce livre, qui tient à la fois du jeu initié par King, mais aussi de la trajectoire qu'il empreinte depuis plusieurs livres, maintenant, la nostalgie. Il fait quelques clins d'oeil directs à certains de ses derniers romans ("Joyland", "22/11/1963" et même "Dôme") et instaure encore une fois ce climat particulier à cette dernière partie de son travail.
Encore une fois, on retrouve les années 60 et cette espèce d'Amérique de cocagne qui semble gravé dans sa mémoire comme celle de sa jeunesse. Une Amérique des champs, si je puis dire, qui n'a peut-être même jamais existé, tant elle semble éloignée des problèmes du pays et de son Histoire, une Amérique peut-être enjolivée simplement parce qu'on s'y sentait mieux que dans celle d'aujourd'hui.
Dans "Revival", cette nostalgie est portée par la musique. Le rock et la pop des swinging sixties et le livre comprend une impressionnante play-list, de Dylan à CCR, en passant par les Beatles, Wilson Pickett ou Fleetwood Mac. Une musique qui a un caractère très important : elle va être portée par l'électricité, qui, depuis peu, booste le son des guitares.
Jamie Morton est guitariste rythmique au sein des groupes dans lesquels il joue et, sans électricité, il passerait certainement inaperçu. Lui aussi a donc bénéficié des bienfaits de cette énergie, au coeur de "Revival", jusqu'à ce que la drogue le détruise. Mais cette musique, qu'il continue à jouer, même dans les années 80, sa décennie noire, ne bouge pas, ancrage dans cette période si spéciale des sixties.
Cette nostalgie, on la retrouve aussi dans ces fêtes foraines qui sont le cadre d'une partie du roman, ces lieux qui reviennent chaque année, à date presque fixe, où l'on se rend en famille, où l'on se fabrique des souvenirs d'une années sur l'autre, à base de peluches géantes, de barbes à papa ou d'autos tamponneuses...
Encore un lien profond avec l'enfant qui sommeille en nous et que Stephen King semble sans cesse, ces dernières années, essayer de faire renaître (encore) dans ses romans. Soit par la présence de jeunes personnages, soit par des situations évocatrices de l'enfance dans ses intrigues. Et c'est aussi l'enfant en nous qui reçoit cet imaginaire et s'en nourrit, plus que l'adulte blasé et revenu de tout.
Il règne sur "Revival" une ambiance étrange, comme un ciel qui se charge jusqu'à ce que les intempéries éclatent. On commence au soleil, dans le jardin des Morton, et on termine dans un climat bien moins serein, comme si le parcours de Jamie et du pasteur allait vers le mauvais temps, inéluctablement.
Mais, cette atmosphère, et je ne fais aucun jeu de mots, est tout simplement électrique. Car, l'énergie est sans doute le troisième personnage central de cette histoire. Elle permet des scènes particulièrement spectaculaires, à plusieurs reprises au fil du roman et c'est son contrôle, d'une certaine manière, que recherche Jacobs.
Cela donne quelque chose de très visuel, très agréables à lire, car on s'immerge dans cet univers de plus en plus sombre. Expériences, cauchemars, effets secondaires, numéros d'illusions (par moments, on croirait Jacobs sorti du "Prestige", de Christopher Priest), tout cela vient donner le cachet surnaturel tant attendu.
Si le rythme est assez lent, c'est vrai, on se laisse captiver par cette histoire qui monte en régime, comme une dynamo qui aurait accumulé sa charge électrique avant de la déverser pour illuminer une ampoule. A la fin, la clarté est violente ! Et l'on retrouve un King renouant, cela fait longtemps, avec ses premières amours horrifiques. Peut-être un peu trop chichement, trouveront certains...
Je ne pense pas que "Revival" s'inscrira au sommet de l'oeuvre de Stephen King. Mais, c'est bien du King et un bon millésime. C'est surtout cet hommage au genre fantastique, qu'il faut retenir, matérialisé d'entrée par les remerciements d'usage. On sait d'entrée où l'on risque de mettre les pieds. Et la scène finale a tout, elle, d'une scène d'anthologie made in King.