Après avoir lu de nombreux articles sur les livres de notre enfance ou de notre adolescence (notamment ceux d'Armandine), je me suis dit que ça pourrait être intéressant de vous présenter l'auteur qui m'a accompagnée (et en quelque sorte guidée) pendant une bonne partie de mon adolescence.
Qui aurait cru qu’un livre trouvé par hasard dans les tréfonds d’un placard m’aurait fait tant d’effet ? Que moi qui croyais naïvement lire une réécriture de Fanfan la tulipe, j’allais en réalité faire la connaissance de l’auteur qui allait marquer mon adolescence ? Deux syllabes enfantines qui résonnent comme un appel, une curiosité, une invitation à se plonger dans l’inconnu : Fanfan. C’est avec ce roman que j’ai plongé.
Séduite, je pensais que j’avais trouvé « mon » livre.
Et puis j’ai lu Le Zubial. Et là j’ai pété les plombs.
J’ai commencé à surligner toutes les pages de fluo, à annoter les marges, à recopier des passages un peu partout, dans mon journal intime, sur mes feuilles de lycée, sur mon skyblog, à les connaître par cœur à tel point que j’avais l’impression que si je ne les avais pas écrits, ils avaient au moins été écrits pour moi. J’ai fait passer mon livre de main en main, j’ai laissé mes amis barbouiller les premières pages de leurs petits mots, j’ai voulu dire « lisez, c’est tout ce que j’aurais aimé avoir écrit », « lisez, c’est tout ce que je ressens sans pouvoir l’exprimer ».
« Imaginez que vous êtes lui. Imaginez que vous vous donnez soudain le droit d’être furieusement heureux. Oui, imaginez une seconde que vous n’êtes plus l’otage de vos peurs, que vous acceptez les vertiges de vos contradictions. Imaginez que vos désirs gouvernent désormais votre existence, que vous avez réappris à jouer, à vous couler dans l’instant présent. Imaginez que vous savez tout à coup être léger sans être jamais frivole. Imaginez que vous êtes résolument libre, que vous avez rompu avec le rôle asphyxiant que vous croyez devoir vous imposer en société. Vous avez quitté toute crainte d’être jugé. Imaginez que votre besoin de faire vivre tous les personnages imprévisibles qui sommeillent en vous soit enfin à l’ordre du jour. Imaginez que votre capacité d’émerveillement soir intacte, qu’un appétit tout neuf, virulent, éveille en vous mille désirs engourdis et autant d’espérances inassouvies. Imaginez que vous allez devenir assez sage pour être enfin imprudent. Imaginez que la traversée de vos gouffres ne vous inspire plus que de la joie.
C’était tout cela être le Zubial. » p.124, Le Zubial
Dans les livres d’Alexandre Jardin, j’ai trouvé la fougue que je cherchais à quinze ans, ce besoin d’exister à travers un amour passionnel et sans limite, de s’accomplir et de s’épanouir à travers un autre, l’ambition de vivre dignement et d’aller au bout de ses passions, de ne laisser ni la routine ni les conventions sociales dicter sa vie, de toujours exiger le meilleur de soi, de garder son âme d’enfant, l’énergie de la jeunesse éternelle et le sérieux et la légèreté. Alexandre Jardin écrivait pour moi mon rêve de vie, l’état que je me promettais d’atteindre un jour, cet idéal qui passait forcément par un amour fanatique et absolu. J'aimais ces histoires d'amour dans lesquelles on faisait tout pour se réinventer, dans lesquelles on plaçait la passion au-dessus de tout le reste, dans lesquelles on ne se laissait jamais aller.
Presque frénétique, j’achetais, je lisais, j’enchainais les volumes sans les compter : Mademoiselle Liberté, Le Zèbre, L’Île des Gauchers. Puis j’ai voulu découvrir Pascal Jardin, le père d’Alexandre, ce « Zubial » dont je m’efforçais de suivre les pas. Alors j’ai fait une pause et j’ai lu Le Nain jaune avant de revenir à mon premier amour. Je suis alors repartie Bille en tête, dévorant Autobiographie d’un amour et Le Petit Sauvage.
Et puis j’ai acheté Chaque femme est un roman.
Le bandeau rouge est encore autour du livre, ses pages sont immaculées, le dos n’est pas cassé.
Je ne l’ai jamais lu.
Car sans savoir pourquoi, comment, quand, j’en ai eu assez. Lassée de ces émotions redondantes, j’ai laissé tomber Alexandre Jardin qui me semblait pris au piège à son propre jeu : lui, dont les personnages avaient le quotidien en horreur et rivalisaient à chaque fois d’originalité pour combattre la routine, se répétait finalement, tournait en rond autour de cet amour-passion dont il ne parvenait pas à se défaire, qu’il n’arrivait plus à réinventer et à magnifier. Blasée par cet incessant besoin de réinvention, de nouveauté, de fougue et de passion, j’ai décroché.
« (…) et puis, soudain, j’ai dit non, à la dictature de l’irrévocable, non à ce qui paraît inéluctable, non au déclin des passions, no aux frustrations que la vie nous inflige, non à la fuite de notre énergie, non à tous les panneaux de sens interdit, non à mes propres trouilles, non à une destinée trop réglée, non aux névroses des autres, non aux facilités du prêt-à-penser, non à l’enfermement dans un personnage unique et prévisible, non aux jeux des vanités de la reconnaissance sociale, non à l’empaillement prématuré, non à la mort, non ! Non et encore non ! Cet instinct de rébellion désespéré et joyeux m’est devenu une colonne vertébrale, pour ne pas m’effondrer. » p.155
Aujourd’hui, cet amour idéalisé ne trouve plus d’écho en moi, les personnages pétillants et romantiques me semblent étrangement angoissés et ne me ressemblent plus. J’aime toujours relire les citations que j’ai notées, les passages qui me servaient de leitmotiv, j’essaie de m’en inspirer quand le moral n’est pas au beau fixe, que je me sens un peu perdue –mais je ne les prends plus pour argent comptant. Je ne me les approprie plus : elles ne m’appartiennent plus.
Si je relisais Le Zubial maintenant, l’aimerais-je toujours autant ? Si j’y voyais le ridicule, le côté excessivement romanesque ? Ne serait-ce pas prendre le risque de gâcher un bon souvenir ?
Il y a des livres, des auteurs qu’on rencontre à quinze ans et qu’on abandonne derrière soi. Guides d’une époque charnière, ils deviennent rapidement désuets et se teintent parfois de ridicule. Après quelques années, je regarde ces livres comme les trésors d’un âge que je n’ai plus, avec tendresse pour l’adolescente pleine de rêves et d’idéaux que j’étais. Alexandre Jardin m’a fait vibrer, m’a fait rêver, m’a laissé imaginer une vie grandiose et romanesque. Mais j’ai laissé Chaque femme est un roman sur l’étagère de la bibliothèque familiale, à attendre quelqu’un d’autre pour qui il est peut-être écrit.
Quel auteur a marqué votre adolescence ? Avez-vous déjà adoré, adulé un auteur puis avez fini par vous en lasser ? Pensez-vous qu’il y a des auteurs que l’on doit savoir laisser derrière soi pour ne pas s’en dégoûter ?