Séminaire de Sherbrooke, 1972, 12 ans, secondaire 2. Pensionnaire. Je vis à l’école du lundi matin au vendredi soir. Nous vivons à l’école, une centaine d’étudiants des cinq niveaux du secondaire et quelques étudiants du niveau collégial. Ceux-là, on les voit rarement. Ils ont des chambres individuelles ; ils ne dorment pas dans un dortoir comme nous. Quelles activités sont prévues pour distraire et occuper ces adolescents ?
Bien sûr, il y a toujours l’étude, une grande salle avec plein de pupitres : on amène nos livres et on étudie en silence. Ce peut être également des livres plus légers. Mon meilleur ami de l’époque avait hérité du surnom « Arsène » parce qu’il avait toujours un bouquin d’Arsène Lupin à la main. La bibliothèque incitait également au recueillement dans ce temple de la lecture : car elle était construite en partie dans la chapelle.
Évidemment, il y avait le sport. Le Séminaire encourageait la bonne forme physique et la pratique sportive. Le sport inculque la discipline, valeur majeure au Séminaire. Ses équipes sportives performaient au niveau régional et provincial. Le gymnase était ouvert pour un jeu de volley-ball, un jeu de basketball et assez d’espace entre les deux pour éviter les frictions dues aux ballons perdus. Parfois, une équipe de l’école réservait le gymnase, en tout ou en partie, pour leur pratique. Et là, c’était sérieux ! Cent touches de suite au-dessus de ta tête et, si tu échappes le ballon, tu recommences à zéro… Ensuite, cent manchettes sans laisser tomber le ballon. J’ai joué deux ans dans l’équipe de volley-ball du Séminaire. La première année, le coach m’a fait joué pendant une minute… sur trente-six parties. La deuxième année, le coach m’a retiré du jeu pendant une minute, sur trente-six parties ! J’avais pratiqué entre la première et la deuxième année.
Parfois, le club cinéma projetait un film. Je me rappelle un film qui avait été très populaire, car on y voyait de la nudité, des danseuses psychédéliques peintes. On allait aussi voir du cinéma moins audacieux, parfois des films français.
Sans oublier la salle des loisirs où se pratiquaient le ping-pong et le Mississippi. À l’extérieur, il y avait un terrain de base-ball et un terrain d’athlétisme. Plus quelques jeux où deux joueurs tentaient d’enrouler autour d’un poteau une chaine avec un ballon à l’extrémité, en frappant sur le ballon. Essayer une fois : trop petit, poteau trop haut.
Également, comme à toute génération, il y avait le flânage, ni encouragé, ni puni par notre digne institution. Nous flânions à la salle de loisirs. Quatre étudiants de deuxième secondaire, qui n’était plus des navots. Ainsi appelait-on les débutants qui arrivaient du primaire. Et nous étions pensionnaires, car rares étaient les externes qui restaient après les cours. Sauf pour les pratiques sportives qui se déroulaient entre la fin des cours et le souper. Quatre étudiants-pensionnaires qui discutaient à bâtons rompus. Je ne me rappelle pas qui a posé le premier la question : « Pis toi ? Qu’est-ce qu’il fait, ton père comme travail ? »
Le père de Villeneuve (à cet âge, on s’appelle souvent par son nom de famille) était maire de Waterville, une ville d’à peine 2000 habitants en banlieues de Sherbrooke. Le petit Bombardier m’intriguait. Il y a longtemps que je voulais lui poser la question : « Et toi ? Es-tu parent avec J. Armand Bombardier ? » « C’est mon grand-père… », a-t-il répondu… Être le petit fils de l’inventeur de la motoneige a dû le mettre à l’abri du besoin pour le reste de sa vie. Je demandai ensuite à Bachand, André Bachand, ce que son père faisait comme métier. Il était médecin, ce qui n’était pas un métier, mais une profession ! Je crois que je l’avais insulté. Ne restait plus que moi. Que savaient-ils de moi, ces trois fils à papa… ou à grand-papa ? Ils savaient que j’avais de meilleures notes qu’eux et ils se doutaient que j’étais pauvre.
— Et toi, Denis ? Qu’est-ce qu’il fait comme travail, ton père ?
— Il fait des glossettes aux raisins à la Lowney’s !
Le froid… J’étais pourtant fier. Mon père faisait quelque chose d’utile. Je vis justement mon père cette fin de semaine là et je demandai à sa voisine, qui venait d’Asbestos comme André, si elle connaissait le docteur Bachand.
— Voyons Denis, tout le monde connaît le docteur Bachand ; c’est notre député !
— C’est pas notre classe, marmonna mon père, en ajoutant, on parle pas à ça !
S’il avait su ! Vingt-six ans plus tard, alors que j’allais visiter un de mes frères hospitalisé à Arthabaska, j’ai vu une affiche annonçant : « André Bachand, député du Comté Richmond-Arthabaska à la Chambre des communes. » Il était conservateur. Il avait suivi les traces de son papa !
Notice biographique
L’auteur se présente ainsi :
« Né à Victoriaville dans un garage où sa famille habitait, l’école fut la seule constante de son enfance troublée. Malgré ses origines modestes, où la culture était un luxe hors d’atteinte, Denis a obtenu un bac en sociologie. Enchaînant les petits emplois d’agent de sécurité ou de caissier de dépanneur, il publia son premier ouvrage chez Louise Courteau en 1982 :La lumière différente, un conte fantastique pour enfants. Il est un ardent militant d’Amnistie Internationale et un rédacteur régulier dans des journaux universitaires et communautaires. Finalement, après plusieurs manuscrits non publiés, il publiera chez LÉR Les chroniques du jeune Houdini. D’autres romans sont en chantier… »