Laird Hunt, Grand prix de littérature américaine

Laird Hunt, Grand prix littérature américaineYES! Laird Hunt est le lauréat du premier Grand prix de littérature américaine tout juste créé (lire ici), pour son superbe roman "Neverhome" (traduit de l'américain par Anne-Laure Tissut, Actes Sud, 262 pages). Je le dis tout net: il était mon préféré des finalistes (lire ici). Le jury a distingué un livre "qui offre le magnifique portrait d'une femme confrontée à la violence des hommes et du monde, ici celle de la guerre de Sécession. Les dialogues sont d'une grande modernité que la traduction d'Anne-Laure Tissut restitue à la perfection. Le texte est parcouru d'images saisissantes de beauté et de poésie, mais il est surtout porté par un vrai souffle romanesque."
L'Américain était déjà venu en tournée européenne à la fin de l'été - on l'avait ainsi vu à l'Intime Festival à Namur - et reviendra à Paris du 7 au 11 décembre afin de recevoir son prix.
"J'étais forte, lui pas, ce fut donc moi qui partis au combat pour défendre la République." Rudement efficaces, les premiers mots du cinquième roman de Laird Hunt,  le magnifique "Neverhome" justement récompensé (il avait aussi été repéré par les dames du prix Femina). Ils nous apprennent qu'une narratrice part à la guerre pour y remplacer son mari. On verra très vite qu'elle le fait en secret de la société et de l'armée, qu'elle se travestit en homme, puisque les soldates n'étaient pas admises durant la guerre de Sécession. Constance devient Ash Thompson.
Si le livre dit l'horreur des combats et de la guerre, il fait surtout le portrait d'une femme déterminée dans ses choix. Au sein du régiment ou en solo lorsqu'une bataille la coupe des autres soldats. Comment une femme en uniforme peut-elle survivre malgré les épreuves qui minent son chemin? Par amour pour son époux, le doux  Bartholomew qu'elle a laissé à la ferme familiale dans l'Indiana. Par fidélité à sa mère qui, bien que morte, lui parle de jour et de nuit. Pour d'autres raisons aussi, qui se dévoileront aucours de cette lecture prenante.
Né en 1968, Laird Hunt signe une histoire du passé qui résonne dans notre monde actuel. S'il compose un superbe portrait de femme, il joue aussi avec le romanesque en multipliant des épisodes aventureux qui élargissent d'autant le champ de cet impossible retour à la maison. Pas besoin de s'intéresser à l'histoire pour apprécier son livre qui fournit de belles surprises tant dans l'intrigue que dans les décors. Qui savait par exemple qu'à cette époque, les vitres des serres pouvaient être des plaques de verre photographique et faire apparaître ainsi des portraits humains?

Laird Hunt, Grand prix de littérature américaine

Laird Hunt. (c) Gary Isaacs.

Laird Hunt était passé par Namur, où je lui avais posé quelques questions. Il parle parfaitement français, après avoir pas mal bourlingué à travers le monde pour ses études (dont trois ans en France) ou pour son travail. Il est aussi le traducteur américain d'Arno Bertina (Verticales) et d'Oliver Rohe (Gallimard). "Neverhome" est en cours d'adaptation pour le cinéma.
D'où est né ce roman?
"Neverhome" est un roman sur une guerre du passé et un écho aux guerres du présent. Je ne voulais pas faire de roman à thèse sur une idée abstraite. Mon idée de base était d'écrire sur ces femmes qui ont fait la guerre de Sécession déguisées en hommes. Il y a vingt ans, j'avais reçu de mon épouse le livre "Le soldat singulier" qui traitait de cette question. J'avais depuis longtemps l'idée générale de ce roman mais j'ai mis des années à trouver une histoire digne de ces femmes. Mais quand je l'ai eue, il ne m'a fallu qu'un mois, un mois et demi, pour terminer le manuscrit. Ce n'est qu'une fois cette voix trouvée,que j'ai pu penser à ce qui se passe autour de moi, le racisme, la guerre, le droit des femmes de se battre.

Pourquoi avoir choisi le prénom de Constance pour votre personnage?
Il vient des circonstances de sa vie. Elle le dit au début: "I was strong, him not" (J'étais forte, lui pas). Elle parle un anglais curieux pour l'époque mais c'est ma liberté du romancier. Constance est face à tous les malheurs du monde. Elle est toutes les femmes qui ont vécu la guerre, humiliées, considérées comme des espionnes, mises dans des asiles. Elle a toutes les difficultés possibles et une fin d'histoire tragique. Elle est une Pénélope qui part et revient alors que son Ulysse reste à la maison. Ce livre est la confession de Constance: elle savait ce qu'elle faisait à la fin. Il est sa tentative de retour, d'où le titre "Neverhome". Comment pourrait-elle rentrer, vivre dans cette ferme à l'ombre de son frêne - "ashtree" en anglais, d'où le nom de guerre qu'elle a choisi. 

Aviez-vous déjà tout le livre en tête en commençant à l'écrire?
Oui, dès le début de l'écriture, j'avais presque tout le livre en tête, sauf la fin qui n'était pas aussi triste et aussi violente, mais ma première version n'était pas crédible. Par la suite, j'ai ajouté ou développé de nombreuses scènes. Celle avec le colonel par exemple, qui ne faisait qu'une page au début, les longues conversations entre les personnages, la femme du colonel... Mon premier manuscrit faisait 150 pages, avec tous les ajouts, le livre en fait finalement 300! J'ai aussi ajouté le personnage de Waderby qui construit sa serre avec des plaques photographiques;  beaucoup de documents sur la guerre de Sécession mentionnent ces serres. Pourquoi une serre? Sans doute parce que ma grand-mère en avait une dans sa ferme d'Indiana et que j'y passais beaucoup de temps.

Quels sont vos projets?
J'aimerais revisiter vingt ans plus tard les personnages de ce roman, Ash Thompson, qui est un peu moi, Neva Thatcher, qui, même si elle trahit son amie, est très intéressante parce que très humaine.
Je continue d'écrire des livres avec des femmes dans le XXe siècle. En août 1930, il y a eu un lynchage pas loin de la ferme familiale. J'en ai fait un livre qui est fini. Peut-être ensuite vais-je retourner au présent.

Comment parlez-vous si bien français?
J'ai été étudiant en histoire à l'université française. J'ai passé un an à Strasbourg (1980) et deux ans à Paris, à la Sorbonne, en 1990. J'ai vécu la vie d'un Américain à Paris, boire, fumer, écrire. Puis ma femme est venue me rejoindre.

L'Indiana est très présent dans vos romans.
Effectivement, "Neverhome" est mon troisième livre sur l'Indiana, que l'Etat soit présent en tant que lieu ou parce que les personnages en sont originaires, les autres étaient "Indiana Indiana" et "Les bonnes gens". Moi-même, je suis de l'Indiana même si je suis né à Singapour,  et que j'ai vécu à Londres, aux Pays-Bas ou à Hong Kong avec mon père. Mais je passais l'année scolaire en Indiana dans la ferme familiale avec ma grand-mère. Il y a douze ans, en plus d'écrire, j'ai été l'attaché de presse des Nations Unies à New York. J'ai beaucoup voyagé pour les Nations Unies, j'ai même passé une semaine à Bruxelles! Aujourd'hui, j'habite au Colorado, j'enseigne la littérature à l'université de Boulder (creative writing).

Le début de "Neverhome" peut se lire ici.
Les sélections et prix
Jean Giono (remis), ici, ici et ici 
Grand Prix du roman de l'Académie française (remis), ici,  iciet ici
Décembre (remis), iciici  et ici
Goncourt (remis) et Goncourt des lycéens, ici,iciici et ici
Renaudot (remis), ici,  ici, ici et ici
Femina (remis), iciiciici et ici
Médicis (remis), ici,  ici, ici et ici
Wepler (remis), ici et ici
Grand Prix de littérature américaine, ici et iciFlore, ici et ici
Interallié, ici et ici