Je ne connaissais d'Aragon que ses poèmes et son amour d'Elsa.
Lire sa prose est une belle expérience, j'ai été transportée dans le Paris de l'entre-deux-guerres, celui de Picasso et de Pigalle. Les mœurs y sont peintes avec finesse, on se prête avec plaisir à la valse qui se tisse entre les protagonistes, Aurélien, Bérénice, Edmond, Blanchette, Rose, Paul, Zamora...
Aurélien m'est apparu pour partie insaisissable, son parcours et sa personnalité sont singuliers, il est à la fois nonchalant et résigné, il n'a pas la fougue de Paul Denis ou la cruauté d'Edmond, les femmes se pâment à sa seule pensée, mais "il ne porte pas à conséquence", il n'y a rien de sérieux avec lui, pourtant on ne saurait dire qu'il est absolument léger.
La façon dont il idéalise Bérénice - et dont il a conscience - est surprenante, chez un homme de trente ans, et rappelle les émois adolescents plus que les amours adultes. L'auteur retranscrit merveilleusement combien il est amoureux de l'idée de l'amour plus que de Bérénice, et combien la confrontation entre les illusions dont il se berce et la réalité délite la force de son engouement.
Certains passages sont scéniques : ainsi l'intrigue qui se noue autour du masque exposé dans la chambre d'Aurélien, que Bérénice brise dans un accès de jalousie, où la soirée qu'Aurélien passe à l'opéra entre Blanchette et Bérénice, sans parvenir à rien comprendre du spectacle tant l'absorbe le trouble dans lequel le plonge la proximité de Bérénice, sous le regard blessé de Blanchette.
J'ai été happée à la lecture par une nostalgie, une sorte de renoncement à l'amour dans la vie, du fait de l'infranchissable distance entre une chimère, un idéal, et l'objet réel de cet amour.
Aurélien est un roman qui parle de désillusion et de solitude, sous couvert de nous dire l'histoire d'amour impossible entre Bérénice et Aurélien.