Ça faisait un petit moment que j'entendais parler d'Hubert Haddad sans vraiment savoir ce qu'il avait écrit et que je me disais, encore récemment, qu'il fallait je m'y mette. Grâce à une copine qui m'a offert le roman pour mon anniversaire (elle a eu du flair sur ce coup-là), j'ai enfin eu l'occasion de renflouer ma petite besace " Culture Littéraire Perso " et de faire une pause dans les gros pavés.
Coïncidence ou paradoxe temporel, la première phrase de l'incipit m'a tout de suite remise dans le bain de la réflexion sur l'immortalité. Jugez par vous-même : " L'immortalité n'aura bientôt plus de secret pour l'homme ". En espérant très fort que ce " bientôt " n'est pas pour tout de suite, je vous renvoie à (au cas où vous n'auriez pas encore compris que j'ai kiffé ce bouquin...), l'immortalité ou plutôt la méthode pour y parvenir, est le sujet central.
Cédric est en voyage avec sa petite-amie quand il a un accident de bateau. Il se retrouve paralysé des pieds à la base du cou, et ce pour toujours. Les médecins lui proposent alors l'opération de l'impossible, celle qui n'a jamais été faite sur aucun autre être humain : la transplantation d'un corps entier greffé sous la tête de Cédric. Même si on nous tease pas mal sur le probable échec de l'opération, alors que sincèrement on se doute bien que ça va marcher, sinon y'a plus d'histoire, LOGIQUE, Cédric se réveille malgré tout en relative bonne santé.
Outre le fait que les chirurgiens se gargarisent d'avoir effectué la plus grande avancée médicale, sans vraiment se poser la question si le patient va bien le vivre, et qu'on lui prescrive des médicaments et des séances chez le psy qui ne servent à rien tellement le psy n'arrive pas à comprendre vraiment les enjeux psychologiques d'une telle opération, Cédric se retrouve avec un problème d'identité de taille. Qui il est désormais ? Et surtout, la question qui va finir par l'obséder, à qui appartient ce corps avec lequel il fait l'amour à sa copine, à ce corps qui ne lui ressemble pas ?
Avec ses 176 pages, Corps désirable prend la forme d'un thriller psychologique. Et avec un talent fou pour cette concision capable d'exprimer toute la profondeur due à un sujet de cet ampleur, Hubert Haddad, cousin Hub j'ai envie de dire, pose les bases d'une réflexion sur le progrès médical, les questions d'éthique et d'identité (qu'est-ce qui fait ce que nous sommes : la famille ? notre patronyme ? notre corps ?), jusqu'à nous amener à une fin hitchcokienne assez surprenante.
Et puis forcément, on est amené à s'interroger tôt ou tard : qu'est-ce qu'on aurait fait à la place de Cédric ? Oui, vous l'aurez remarqué, on se pose beaucoup de question aujourd'hui. Personnellement, entre passer ma vie à l'état de légume et me retrouver avec le corps d'une autre, j'aurais choisi la troisième option : une bonne dose de cyanure à l'ancienne et " salut les copains, c'était sympa de vous avoir connu ". Et encore je n'en suis pas si sûre. En tout cas, c'est ça que j'attends parfois d'un roman. Qu'il remette en cause les fondements de ce que je crois savoir, qu'il me fasse douter et qu'il me mette dans des situations extrêmes (par procuration, hein. Je n'ai jamais encore connu le livre qu'il allait physiquement me faire des choses), comme ici pour Cédric.
Malgré tout, cette unique lecture dans la bibliographie d'Hubert Haddad ne m'a pas suffi pour me faire une idée de toute l'étendu de son talent. Je reste encore un peu sur ma fin. C'est bien pour cette raison que je compte me plonger dans Palestine ou Le Peintre d'éventail, le plus vite possible.