En cette année 2012, l'arrivée du printemps n'est pas la meilleure des nouvelles pour le service dans lequel travaillent Harry Bosch et son équipier, David Chu. En effet, ce service est en charge des affaires non-classées, les fameux "cold cases", et, à l'approche du 20e anniversaire des émeutes de South LA, les ordres sont clairs : rouvrir les dossiers liés à ces événements et éviter toute mauvaise publicité dans la presse quand les journalistes rouvriront à leur tour ces dossiers...
Le 3 mars 1991, Rodney King, un automobiliste noir, arrêté par des policiers blancs de la police de Los Angeles pour un simple excès de vitesse, est passé à tabac sous l'oeil d'une caméra. Le scandale est énorme, mais, à la surprise générale, l'année suivante, les quatre policiers sont acquittés. Une décision d'un jury populaire dont tout citoyen noir avait été exclu, va déclencher les terribles émeutes.
Le 29 mars, les quartiers noirs de South LA s'embrasent et les émeutes vont durer près d'une semaine. Ce sont surtout les trois premiers jours qui seront d'une violence extrême. Au final, le bilan fera état de plus d'une cinquantaine de personnes tués pendant ces journées sanglantes. Et certains de ces crimes, dont certains sont certainement plus crapuleux qu'autre chose, restent impunis.
Parmi ces morts, une jeune femme reste gravée dans l'esprit de Harry Bosch. Il fut l'un des premiers policiers à intervenir dans la ruelle sordide où son corps fut découvert, alors que les émeutes étaient en cours. Une intervention difficile, sous la protection des soldats de la Garde Nationale, appelée en renfort, un examen de la scène de crime bâclé, par la force des choses...
Mais, il y a une autre raison pour laquelle cette affaire non-résolue trotte encore dans l'esprit du flic, vingt ans après : la victime était blanche. Une situation incongrue dans ce quartier, surtout à ce moment-là. A moins qu'elle ait eu une raison particulière de s'y trouver. Or, Anneke Jespersen, jeune Danoise morte assassinée d'une balle dans l'oeil, était journaliste et correspondante de guerre...
Etait-elle là pour enquêter sur les émeutes ? A-t-elle été témoin de scènes qu'elle n'était pas censée voir, mettant, par exemple, en scène les gangs très actifs dans ce secteur ? A-t-elle été victime de représailles pour l'empêcher de rendre public ce qu'elle avait vu ? C'est évidemment un possibilité, la plus logique, mais jamais Bosch n'a réussi à étayer cette hypothèse par la suite.
L'occasion est belle de prendre ce dossier à bras le corps et de trouver qui a froidement exécuté dans cette ruelle une jeune femme courageuse. Harry Bosch est bien décidé à remuer ciel et terre pour découvrir l'assassin de la journaliste et faire taire un nouveau fantôme hantant sa mémoire. A condition de réussir à remonter une piste bien, bien froide...
Je l'ai dit, l'examen de la scène de crime a dû se faire dans l'urgence et les relevés élémentaires n'ont pu être effectués correctement. En fait, Bosch ne dispose que d'un élément, découvert par ses soins, alors qu'on le pressait de dégager de là : une douille. Si près d'un cadavre traversé par une balle, la probabilité est forte que ce soit la bonne. Mais, cela reste mince.
Utilisant cette douille comme le bout d'un fil d'Ariane, Harry Bosch va alors tenter de remonter jusqu'au coeur de la pelote, où se trouve certainement le meurtrier d'Anneke Jespersen. Mais, il en est conscient, rien ne sera simple, tant le dossier sonne creux. Alors, plein de détermination, comme à son habitude, il se lance dans son enquête comme un running back à l'assaut de la ligne adverse.
Mais ce serait trop simple qu'on le laisse retourner le passé à sa guise... Le voilà une fois de plus rattrapé par ce dont il a horreur : les basses manoeuvres politiques. Son nouveau chef, qui n'aime pas les fortes têtes et entend faire de son service un territoire à sa pogne, se sert d'une broutille pour lui coller les affaires internes aux basques.
Harry n'en décolère pas, mais il sait ce qu'il a à perdre dans cette guéguerre : son job, en sursis, puisqu'il bénéficie d'un régime particulier lui permettant de travailler alors qu'il devrait goûter une retraite bien méritée. Pour le reste, ce n'est pas ce bureaucrate qui l'impressionne et il n'entend pas renoncer aussi facilement.
D'autant que, malgré le peu d'éléments viables de son dossier, son enquête prend tournure... L'arme du crime a connu une carrière bien remplie, elle aussi, si j'ose dire, laissant sa trace dans différentes affaires d'homicides. La piste des gangs semble vouloir se confirmer, avec un souci : en 20 ans, la guerre entre gangs à LA a sérieusement éclairci les rangs des témoins potentiels...
Reste à savoir si les intuitions de Bosch sont les bonnes ou si, sous le meurtre sordide et lâche d'Anneke Jespersen, ne se cache pas autre chose... Fidèle à ses habitudes, jouant les cavaliers seuls au boulot et les papas-poules à la maison, Harry Bosch va encore une fois jongler entre les ennuis, et des gros, et mettre sa carrière et même sa vie dans la balance pour découvrir la vérité.
"Dans la ville en feu" est une enquête assez classique, dans la lignée des précédentes affaires gérées par Bosch. Depuis qu'il fait équipe avec David Chu, il a vraiment tendance à bosser en solo, faute d'une parfaite entente avec son collègue. Une façon aussi de protéger ce garçon moins tête brûlée que lui et qui ne doit pas avoir à payer pour les prises de liberté de Harry avec le règlement.
Oui, vous vous en doutez, le titre de ce billet est une espèce de devise que Harry Bosch s'empresse de mettre en oeuvre dès qu'il le peut. Une simple phrase qu'il a entendue de la bouche d'un de ses premiers coéquipiers, alors qu'il était encore un bleu, tout juste revenu du Vietnam, et qui est gravée dans son cerveau depuis, comme au fronton d'un bâtiment important.
Je ne pense pas que cette enquête soit la meilleure, la plus originale ou la plus surprenante de l'inspecteur Bosch, disons-le clairement. Mais, elle s'inscrit dans cette période étrange d'un Bosch jouant les prolongations et se fichant comme de sa première tenue d'uniforme de la hiérarchie, des petits chefs aux dents longues, des pressions politiques. De tout ce qui parasite son boulot d'enquêteur.
En ce qui concerne Connelly, ce n'est sûrement pas un hasard non plus. A travers Bosch et Mickey Haller, ses deux personnages récurrents, le romancier aborde des sujets brûlants touchant à la société américaine. Bosch travaillant dans les "cold cases", le renvoyer aux émeutes de 1992 est aussi une manière d'aborder les questions raciales, on le sait, extrêmement délicates en ce moment.
Une victime blanche dans un quartier noir, en pleines émeutes, c'est vraiment le genre de sujet délicat. Seule la soif de vérité guide Bosch, qui ne se pose pas vraiment ces questions. Il n'a pas de préjugé et, s'il s'oriente en premier lieu vers les gangs, c'est plus comme un point de départ et une question de logique que comme une volonté de souffler sur les braises.
Mais, la première partie du roman se déroule effectivement dans cette difficulté d'un flic blanc enquêtant dans un quartier noir sur le meurtre d'une blanche... Tensions... Pour faire avancer sa barque, Bosch va devoir ruser, trouver des moyens de contourner ces obstacles, asticoter ses témoins, jouer au méchant flic, etc.
Pourtant, là où certains de ces collègues se seraient certainement entêtés à trouver quel membre de gang a tué Anneke, vingt ans auparavant, Bosch ne s'en tient qu'aux indices, qu'aux pistes qu'il réussit, péniblement, à exhumer. Comme un archéologue brosse avec un pinceau les ossements enfouis, sans précipitation, avec patience.
Difficile d'en dire plus, car, évidemment, il ne faut rien révéler des rebondissements de cette enquête. Mais, vous l'avez certainement compris au fil des lignes, son fil d'Ariane va finir par conduire Bosch dans des directions différentes, inattendues. Là encore, en jouant sur des sujets sensibles, loin des évidences faciles. Et des suspects idéaux, gibiers de potence professionnels, aux casiers judiciaires longs comme des jours sans pain.
Depuis quelques années, lorsque je lis les enquêtes de Harry Bosch, je trouve qu'il se transforme de plus en plus en justicier... Charles Bronson peut dormir tranquille, il a un successeur. Ce n'est peut-être pas aussi spectaculaire, violent ou conservateur que "le justicier dans la ville", mais le personnage créé par Michael Connelly s'affranchit de plus en plus des codes et des règles.
Et particulièrement lorsqu'il s'attaque à des adversaires puissants, qui savent se défendre et attendent d'un officier en fin de carrière comme lui qu'il baisse la tête, s'incline et la boucle. Grave erreur, Harry Bosch ne sort pas de ce moule-là et il n'a pas plus peur des gangstas de South LA que des huiles du sommet de sa hiérarchie. Et encore moins de ceux qui pensent que la loi ne les concerne pas.
"Dans la ville en feu", dont la dernière partie colle tout à fait avec ce que je viens de décrire, ne renouvelle certes pas le genre mais a le mérite d'asseoir un peu plus Bosch dans ce rôle d'électron libre agissant en marge de tout et de poil à gratter d'une hiérarchie qui s'arrache les cheveux devant son insubordination. Pardon, son indocilité, semble plus juste.
Sans doute est-il plus malin que certains de ses supérieurs, sans doute joue-t-il plus habilement des règlements que ces empêcheurs d'enquêter en rond, mais l'épée de Damoclès pend toujours mollement au-dessus de sa tête. Bosch n'est pas éternel, Michael Connelly prolonge sa carrière tant que possible (en attendant que Maddie, sa fille, ne prenne le relais ?), mais il tient bon et assure, malgré des méthodes peu orthodoxes.
Nous verrons bien comment cela évoluera, puisque Bosch devrait revenir dans nos librairies en 2016 ("The Burning room", déjà paru aux Etats-Unis, devrait être bientôt traduit). Avec cette sensation étrange que ce flic blanchi sous le harnais réussit l'exploit, en forme de grand écart, de concilier une intégrité dont beaucoup devraient s'inspirer autour de lui, et une façon de laisser le code de procédure soigneusement de côté pour agir à sa guise.