Alias, le jour où Marvel a dit "Fuck"

Fuck! Il s'agit du mot qui ouvre le comic book paru en octobre 2001, première série du label de Marvel Comics destiné à un public mature, Marvel MAX. L'apparition de ce mot dans une publication de la Maison des Idées n'est pas anodin, il fait suite à une lente transformation d'une entreprise en crise qui a été obligée d'évoluer pour survivre.

Marvel Group n'a pas toujours été l'empire économique qu'il est de nos jours. À vrai dire, en 1996, le groupe annonce qu'il est en faillite. À l'epoque, son marché se concentre uniquement sur les comics et certains produits dérivés tels les jouets et les cartes à échanger. Mais à part les titres liés aux X-Men qui survolent les ventes, les autres peinent à trouver leur public.

En 1997, le groupe demande à Marvel Entertainment, son entreprise en charge de distribuer les licences tirées des comics, de se rapprocher du cinéma. Cette décision est peut-être poussée par le succès du film Men in Black, adaptation de la BD de Lowell Cunningham tirée du catalogue Malibu Comics qui appartient au groupe. Avi Arad, président de Marvel Entertainment, vend alors les droits d'exploitation du héros Blade à New Line Cinema. Un film sur le héros sort l'année d'après, le succès est au rendez-vous. Marvel Group décide alors d'encore plus investir dans le cinéma. Ainsi sortiront les films X-Men, Spider-Man, Hulk, Fantastic Four ainsi de suite jusqu'à la création de son propre studio, Marvel Studios à qui l'on doit, entre autres, Avengers.

Alias, le jour où Marvel a dit

Concrètement, les adaptions en film viendront à terme à sauver Marvel de la crise. Pourtant, en cette fin des années 90, son coeur de cible reste les lecteurs de BD mais l'argent manque afin de proposer des choses audacieuses. Bob Harras, éditeur-en-chef de Marvel Comics demande alors à deux créateurs indépendants, Joe Quesada et Jimmy Palmiotti, propriétaires du studio Event Comics, de produire leur propre contenu au sein des publications Marvel. Ils ont carte blanche sur le choix des héros, sur les créateurs avec qui ils bosseront et ils auront leur propre label nommé Marvel Knights. Il ne s'agit pas de rebooter les licences mais de proposer de nouvelles histoires dans la continuité classique Marvel. Les deux auteurs décident alors de revamper Black Panther (bientôt au cinéma), Inhumans (bientôt au cinéma et déjà dans Agents of S.H.I.E.L.D.), Punisher (bientôt dans la série Daredevil de Netflix) et Daredevil. Le duo s'occupe de la partie artistique de ce dernier avec le cinéaste Kevin Smith au scénario. Le succès commercial et l'accueil critique sont immédiats. À tel point que les quelques mois initialement prévus du label deviennent un contrat à durée indéterminée.

Alias, le jour où Marvel a dit

Devant un tel succès, Marvel Group décide de demander à Joe Quesada de rester et de relancer Marvel Comics comme il a pu le faire pour ces 4 titres. Il est alors épaulé par Bill Jemas, venu de Marvel Entertainment, qui prend la place de Harras comme éditeur-en-chef. Un nouveau Marvel Comics naît.

Dans les premières décisions prises par les deux hommes, Marvel Comics s'affranchit sur certains titres de la surveillance du groupe d'auto-censure Comics Code Authority leur permettant de pouvoir évoquer des sujets matures et proposer des séries plus violentes - qui plaisent de plus en plus au public. La série X-Force reprise par Peter Milligan et Mike Allred sera la première série régulière sans le tampon du Code. En parallèle, Jemas lance la gamme de comics Ultimate, qui propose une relecture moderne des origines des X-Men et de Spider-Man afin d'attirer les fans des films à découvrir les comics en s'affranchissant des 60 ans d'histoire des personnages. Ainsi, fin 2000, sont publiés Ultimate X-Men et Ultimate Spider-Man dessinées par deux stars et écrites par des scénaristes issus de la scène indépendante, Mark Millar ( Kick-Ass, Civil War) et Brian Michael Bendis.

Ce dernier a commencé à se faire un nom avec des polars modernes et urbains dont l'excellent Jinx, une mini-série maintes fois récompensée. Par las suite, le scénariste a pu développer sa propre série régulière, Powers. Il a été appelé par Todd McFarlane, le créateur de Spawn, pour écrire un spin-off de sa série culte, Sam and Twitch. En peu de temps, il franchit la porte de Marvel où il est encore installé. L'année d'après le lancement de Ultimate Spider-Man, Marvel demande au scénariste d'écrire deux séries. Ainsi, il reprend Daredevil après plusieurs passages de mains. Il s'agit incontestablement d'une des meilleures époques du héros. Enfin, l'éditeur lui demande d'écrire quelque chose de plus personnel, plus proche de Jinx ou de Powers, afin de lancer une nouvelle gamme, Marvel Max, destinée aux lecteurs matures. Ainsi naît la série Alias.

Alias, le jour où Marvel a dit

Première case, première page, un seul phylactère dans lequel est écrit en gras "FUCK!". Un mot salvateur et de soulagement d'une entreprise qui commence à sortir de la crise. Mais au de-là de ça, il s'agit bel et bien d'une révolution. Ce n'est pas la première fois que le mot était utilisé dans un comicbook, mais c'était la première fois dans un publié par la Maison des Idées. Mais cette case est surtout un signe que les choses ont changé. Et c'est le cas.

Le visage de Marvel a changé depuis. Ce n'est pas tant dans la maturité du ton de ses séries, l'éditeur préférant éviter le grim'n gritty de son concurrent. D'ailleurs, Alias et les autres titres de la gamme MAX comme Black Widow: Pale Little Spider de Greg Rucka et Igor Kordey, Cage de Brian Azzarello et Richard Corben, Fury de Garth Ennis ou encore Dominic Fortune de Howard Chaykin ne rentreront dans cette case. En effet, Marvel propose des titres matures mais pas forcément sombres. Mais le vrai changement se voit d'avantage sur le parcours des auteurs de comics qui interviennent fréquemment chez Marvel Comics. L'éditeur n'hésite pas à aller chercher des auteurs indépendants afin de renouveler ses héros. Ainsi Rick Remender, Jonathan Hickman, Nick Spencer, Matt Fraction, Chip Zdarsky et j'en passe ont su se faire une place au sein la Maison des Idées et ont contribué à forger le Marvel de nos jours.

Vous l'aurez compris, la série Alias a marqué l'histoire de Marvel non pas pour l'apparition d'un nouveau personnage mais pour ce qu'elle représente et le message qu'a véhiculé la Maison des Idées en décidant de la publier. Ainsi l'histoire de Marvel du XXI ème siècle a commencé avec un "Fuck".