Dans le 95, qui va de la place Clichy à la porte de Vanves, je me suis souvenue de ce qui m’avait enchaînée à Igor Lorrain. Non pas l’amour, ou n’importe lequel des noms qu’on donne au sentiment, mais la sauvagerie. Il s’est penché et il a dit, tu me reconnais ? J’ai dit, oui et non. Il a souri. Je me suis souvenue aussi qu’autrefois je n’arrivais jamais à lui répondre avec netteté. – Tu t’appelles toujours Hélène Barnèche ? – Oui. – Tu es toujours mariée avec Raoul Barnèche ? – Oui. J’aurais voulu faire une phrase plus longue, mais je n’étais pas capable de le tutoyer. Il avait des cheveux longs poivre et sel, mis en arrière d’une curieuse façon, et un cou empâté. Dans ses yeux, je retrouvais la graine de folie sombre qui m’avait aspirée. Je me suis passée en revue mentalement. Ma coiffure, ma robe et mon gilet, mes mains. Il s’est penché encore pour dire, tu es heureuse ? J’ai dit, oui, et j’ai pensé, quel culot. Il a hoché la tête et pris un petit air attendri, tu es heureuse, bravo.
Titre :Heureux les heureuxAuteur : Yasmina Reza
Editions :FolioPages : 192 pagesSortie : 2014
RécapitulonsCe petit roman nous offre le point de vue de différents personnages, plus ou moins liés entre eux. On y découvre des âmes torturées, des secrets de couple, de famille. Il n'y a pas réellement de fil conducteur, il n'y a pas "d'histoire". On nous expose crûment le quotidien d'un couple marié, d'un médecin homosexuel ou encore d'un vieil homme qui pense à la mort. On se rend compte que l'humain a une faculté rare : celle de faire semblant ; mais plus important encore : celle de feindre d'être heureux.Les +• L'écriture acérée et directe de Yasmina Reza attaque le lecteur dès les premières lignes. J'ai eu l'impression de plonger dans le récit abruptement, et ça m'a plu. Les réflexions introspectives des nombreux personnages laissent à réfléchir.• J'ai lu ce roman en environ 3H : c'est donc une lecture assez rapide. Je conseille d'ailleurs de le lire d'une traite pour s'imprégner totalement de l'ambiance particulière du récit.
Les -• Etant donné que le roman est court et que les interventions des personnages sont également limitées, on n'a pas le temps de s'attacher à eux, d'éprouver de l'empathie. Cet aspect d'une lecture est très important pour moi. Ici, je n'ai pas ressenti de sentiments autres que : le dégoût, la surprise ou l'ennui (pour certains protagonistes). Mais je pense que c'était voulu par l'auteur, malheureusement ça ne me plaît pas.• La fin n'amène rien, pour moi. J'ai compris que le but de l'auteur était certainement de nous dépeindre brutalement des vies banales en apparence et de nous dévoiler peu à peu la folie et les non-dits de certains, les penchants malsains des autres... Mais il m'a manqué une chute. Je me suis accrochée tout le long du roman en pensant que j'obtiendrai des réponses à mes questions et je n'en ai pas eues. Encore une fois, c'est certainement le but de l'auteur, mais ça ne me touche pas en tant que lectrice !BilanJe le conseille à ceux qui ont envie de se lancer dans quelque chose d'original et d'inhabituel. Je n'arrive pas à savoir vraiment si j'ai aimé ou non, à vrai dire. Autant la plume de l'auteur et le format de la narration m'ont séduite, mais il m'a manqué une étincelle. Note : 13/20