Fernand, un arc-en-ciel sous la lune de Martial Victorain chez L'Astre Bleu éditions
Fernand Malicier vient de perdre son chien. Il se retrouve seul à La Salamandre, la maison dans laquelle il a passé toute sa vie d'adulte. Sa femme est morte depuis longtemps, son fils ne vient plus le voir qu'une fois par an, débordé par son travail. Ses journées sont rythmées par les enterrements des alentours, qu'il suit consciencieusement. La solitude lui pèse de plus en plus. Il a peur de perdre la tête seul avec ses "âmes fêlées". Sa décision est prise : il ne lui reste plus qu'à refermer la porte sur ses souvenirs encombrants. Sa vie, il la terminera au Perce-neige.
Le Perce neige est une maison de retraite classique. A son arrivée il est très surpris par toutes les questions qu'on lui pose sur sa santé. Fernand va bien, il est vieux mais encore vert, ne souffre d'aucun maux et a toutes ses dents. Il regrette déjà sa bonne vieille Salamandre. Il va devoir s'habituer aux règles de l'établissement. Mais Fernand n'est pas du genre à se soumettre. Il a ses propres besoins, son propre rythme et il est bien décidé à ne pas se laisser enfermer sans combattre dans cette antichambre de la mort où la vie est ponctuée par les traitements et les repas, le reste du temps consistant à l'attente. Il va petit à petit apporter la vie, ouvrir les portes de ce véritable tombeau.
Dans Fernand, un arc en ciel sous la lune, Martial Victorain met en lumière nos "petits vieux", ceux qui sont oubliés dans les maisons de retraite, déposés là pour y attendre la mort, y oublier peu à peu qu'ils sont encore en vie, qu'ils ont encore des choses à dire, qu'ils peuvent encore avoir des projets. Ce roman est une critique des maisons de retraites dans lesquelles ces hommes, ces femmes ne sont considérés que comme des cas médicaux, où leurs personnalités, leurs aspirations sont niées. Un roman plein de tendresse et de poésie pour nos aînés oubliés. Les phrases y sont ciselées, polies, un vrai travail d'orfèvre. Un roman plein de souffle, de vie. Ce Fernand restera longtemps dans ma mémoire. Une très belle découverte pour moi et j'ai déjà hâte de lire le suivant. Un grand merci à Martial Victorain pour ce superbe moment de lecture.
"À abriter pendant des années les mêmes gens, à percevoir leurs mêmes odeurs, à entendre leurs mêmes voix, les maisons finissaient par prendre les habitudes de leurs locataires. Elles en étaient une sorte de doublure, un papier carbone qui, en s'imprégnant de leurs présences, décalquaient et reflétaient ainsi les sensibilités de leurs âmes. Les murs étaient chargés de souvenirs et de manies, de joies et de souffrances, de cri, de rires d'enfants et de larmes parfois, d'espoir et désespérance, de tout ce qui brode et tisse les fibres de l'existence. De cela, Fernand en était persuadé. Les maisons finissaient par ressembler à leurs occupants. Elles étaient foisonnantes de paisibles fantômes."
" Fernand se sentait impuissant, pris au piège inexorable du temps qui passe, ne cessant de fixer le vert artificiel des murs comme s'il s'agissait de la surface même de cette vase dans laquelle il se sentait sombrer. Cette tapisserie finalement, à bien y regarder, n'avait aucune ressemblance avec la Limagnole. Elle en était tout son contraire même : une matière sans âme, du synthétique encollé sur des cloisons de Placoplatre n'ayant aucun histoire, ni passé ni avenir. Elle était le symbole du déguisement, de l'enfermement, un papier peint qui n'avait rien de la belle rivière sauvage libre d'un bout à l'autre ; rien de cette belle furieuse qui tord ses eaux troubles parfois et se vrille et se contorsionne souvent, se dévergonde et se fraye un chemin de vie en osant bousculer dans son jeu d'anguille des galets de fond."