Nous, Eve de Castro, romancière

Nous, Eve de Castro, romancière

Eve de Castro. (c) Philippe Matsas/Opale/Leemage.

Elle est menue et toute habillée de noir, la romancière française Eve de Castro quand je la rencontre lundi matin. Elle a passé le dernier week-end à Bruxelles pour participer au premier Salon du livre d'histoire de Bruxelles, en compagnie d'une partie de la soixantaine d'auteurs annoncés - certains ont annulé leur venue à cause des attentats de Paris. La manifestation se déroulait le dimanche 15 novembre, jour de la fête du Roi, au Palais Charles Quint au Coudenberg.
Nous, Eve de Castro, romancièreElle assure, Eve de Castro. Elle assume. Elle avait quitté Paris ce vendredi 13 novembre, déjà de sinistre mémoire, par le Thalys de 18 heures. Mais a décidé de rester à Bruxelles, de faire le boulot. "Travailler, c'est aussi une façon de résister", avance-t-elle. On parlera donc de l'actu, de ce qui l'a causée et aussi de son nouveau livre, "Nous, Louis, Roi" (L'iconoclaste, 220 pages). Un livre historique comme la majorité de ceux qu'elle écrit, mais profondément humain.
Elle y raconte superbement, à la première personne, les dix-sept jours et les dix-sept nuits qui ont précédé la mort de Louis XIV. En 1715, il y a tout juste trois siècles. Grâce à elle, on découvre l'homme derrière le roi en fin de vie. Dans son magnifique palais de Versailles, le despote éclairé fait son examen de conscience, se réjouit et se repent, cherche l'apaisement avant son départ. Immanquablement, on pense aux tyrans d'aujourd'hui. L'un ou l'autre se remettra-t-il en question au moment de quitter cette terre?
Eve de Castro connaît bien le Roi Soleil. Elle lui a consacré plusieurs romans historiques, a participé au scénario du film "Le Roi danse", à celui de la série télévisée "Versailles" qui passe en ce moment. "Louis XIV et moi, c'est une longue histoire de fascination", dit-elle en sirotant un thé. "Mon premier livre, en 1987, il y a plus de vingt-cinq ans, portait sur ses bâtards."
Ce qui est devenu une familiarité réelle a donné ici un livre différent des biographies habituelles: "Je me suis dit qu'il fallait que je prenne le sujet du roi lui-même pour faire de lui un portrait en creux. A l'occasion du tricentenaire de sa mort, plein de biographies classiques vont paraître. Mais qui allait parler de l'homme? On connaît le roi guerrier, on connaît le roi mécène, mais n'était-il pas temps d'aller vers l'homme?" Une question étayée par son livre précédent qui portait sur les dessous de la scène à Versailles. "J'ai été frappée par l'abime entre le corps glorieux du roi et la réalité. Son corps malade montre qu'il a été une personne."
Eve de Castro raconte donc les dix-sept jours et les dix-sept nuits qui précèdent la mort de Louis XIV "Le chiffre 17 est important en numérologie," ajoute-t-elle. "C'est le nombre d'étapes qui conduisent du matériel au spirituel. C'est aussi le nombre de fenêtres du château de Versailles. C'est encore le pressentiment que Louis XIV a du nombre de jours qui lui restent avant sa mort." Le roman s'ouvre sur une scène dans les jardins du château où le roi nourrit ses carpes et où sa préférée, Soleil d'Or, dessine dix-sept cercles devant lui.
Roman confession, "Nous, Louis, Roi" se glisse dans l'intimité du roi, à la fois dans son corps rongé par la gangrène, dans son cœur ému par de nombreuses femmes et dans son esprit qui revisite les décisions qu'il a prises durant son long règne, les bonnes et celles qu'il reconnaît mauvaises. Petits ou grands, différents éléments historiques surgissent au hasard des méditations du malade. En parallèle, ce dernier fait son bilan, en tant que roi et en tant qu'homme. "Il a aimé la guerre, il a aimé la gloire. A la fin, il passe ses journées en public, mais la nuit il est seul avec lui-même." Le roi ne danse plus.
Au fur et à mesure que la maladie progresse, pourrir vivant, quelle claque pour un roi déifié, on se rend compte de l'absolu contrôle de lui-même qu'il a. Dans la souffrance physique notamment. Cela n'excuse bien sûr pas le million de personnes mortes sous son règne mais cela révèle un aspect de Louis XIV. Forte d'une riche documentation, Eve de Castro s'est coulée dans la peau de ce vieux monsieur d'hier. Elle montre comment le roi s'est donné ces dix-sept étapes pour passer du statut de dieu vivant à celui de l'homme Louis allant vers la lumière. "Il est mort les yeux grands ouverts, en paix avec lui-même après ce cheminement", note-t-elle. 
"Ecrire ce livre m'a bouleversée", ajoute-t-elle. "Quelle humilité le dernier jour! Il s'est alors complètement dépouillé des vêtements de la majesté et il a été d'une extrême politesse avec son entourage jusqu'au bout." On l'a compris, pas besoin de se trouver dix-sept bonnes raisons pour lire ce livre remarquablement composé et écrit et profondément humain.