L'année la plus longue

Par Marie-Claude Rioux
Il y a des coups d'essai qui sont des coups de maître. C'est le cas avec L'année la plus longue. Quelle histoire! Quelle épopée! Quelle roman de fou! Daniel Grenier, ton roman m'a envoûtée.Aimé Bolducnaît le 29 février 1760 à Québec. «Le 29 février était la date la plus importante de l'univers. Pourquoi? Parce qu'elle permettait de vivre éternellement.» Souffrant d'un mystérieux «ralentissement métabolique», Aimé ne vieillit pas au même rythme que les autres. L'homme aurait à la fois 56 ans et 226 ans. Il ne vieillit qu'aux années bissextiles, faisant de lui un Leaper, un Twentyniners, de «ceux et celles qui étaient nés au milieu d'un étrange vortex temporel, qui étaient spéciaux par définition, que le temps n'absorbait pas de la même façon.»Aimé avait traversé deux fins de siècle, deux débuts de siècle, ces périodes troubles où tout était à la fois mourant et plein de vie, où la déchéance des uns côtoyait le renouveau optimiste des autres.Sans attache, Aimé parcourt les Appalaches et les États-Unis durant près de trois siècles. Tout au long de cette longue vie faite «de digressions et d'épisodes tronqués», il en vivra des chosesla Conquête anglaise, la guerre civile américaine en passant par la rébellion des Patriotes. Il sera tantôt inventeur, soldat, contrebandier d'alcool, rentier et amoureux.Albert Langlois, un descendant d'Aimé, débarque dans une petite ville du Tennessee au début des années 1980, sur les traces de son ancêtre. Il a «bâti sa vie d'adulte au complet autour d'une obsession unique, une quête qui l'avait tiré en avant pendant près de deux décennies, le forçant à continuer et à s'autodétruire, comme une accoutumance à une drogue sérieuse et maligne.» Il rencontre Laura, avec qui il aura un fils: Thomas.Né un 29 février, Thomas serait-il lui aussi atteint d'un «ralentissement métabolique»? La question demeure...
Il faut attacher sa tuque bien serrée avec de la broche pour s'embarquer dans cette épopée magistrale et tenir le rythme, car ça déménage. Dès l'entame du roman, j'ai été alpaguée. Les quatre cents pages s'envolent et se consument à grande vitesse.Lire L'année la plus longue, c'est faire un triathlon de plusieurs jours: de l'action à revendre, une intrigue palpitante et déroutante, une cuillerée de réalisme magique. La structure même du roman est une merveille d'ingéniosité. Du plaisir, juste du plaisir, aussi bien dans les intrigues que dans l'écriture. Les envolées lyriques se mêlent aux descriptions cliniques, rendant les scènes mordantes, vibrantes. Daniel Grenier est un grand conteur, donnant vie à la poésie du quotidien. Rien d'alambiqué ou d'artificiel ici. Il noue une intriguevertigineuse où tout s'emboîte à la perfection, morceaux par morceaux. Les personnages, tous plus fascinants les uns que les autres, s'inscrivent dans une mythologie américaine ancrée dans une réalité lourde de conséquences.L'année la plus longue est un roman pensé et maîtrisé de bout en bout. Il faut en profiter, car les romans qui provoquent un tel engouement ne sont pas légion. Un roman audacieux, ingénieux, d'une folle intelligence.L'année la plus longue, Daniel Grenier, Le Quartanier, 432 pages, 2015.