Un papa de sang

Par Lecteur34000

" Un papa de sang "

HATZFELD Jean

" J'ai pénétré dans les ténèbres du génocide ". Jean Hatzfeld poursuit au Rwanda son patient travail d'investigation. Vingt ans après le génocide. Mais en partant cette fois à la rencontre des enfants des rescapés des tueurs tout autant que ceux des dits tueurs. Non pas dans une perspective " morale ". Mais pour tenter de comprendre comment le " vivre ensemble ", vingt ans après, lorsque des centaines de milliers de cadavres pourraient encore nourrir les ressentiments et les haines, comment ce " vivre ensemble " s'esquisse au sein des nouvelles générations.

Jean Hatzfeld joue non seulement le rôle de passeur de mots, mais aussi de rêves, de cris de souffrance, des silences de l'incrédulité. Le Lecteur a donc " écouté " les voix des descendants, Hutus et Tutsis. Le ressenti de chacun affleure dans chaque phrase avec une infinie pudeur. La violence des massacres n'est connue qu'à travers les récits confiés avec parcimonie aussi bien par ceux qui furent des tueurs que par les plus proches des victimes. Il est aisé de comprendre que le " vivre ensemble " n'est encore qu'une apparence, une façade, que prévaut désormais le " vivre côte à côte ", que rien n'interdit de penser que le pire puisse se reproduire si, par malheur, les tentatives pour atteindre au " vivre ensemble " échouaient.

Le Lecteur est infiniment reconnaissant à Jean Hatzfeld pour le remarquable travail qu'il accomplit. Un travail nécessaire dans ce monde qui est le nôtre, où s'exacerbent les tensions intercommunautaires, où se créent les conditions du refus du " vivre ensemble ". Un travail d'empreint d'humanité à travers l'écoute attentive des mots " contenus " qui narrent les cheminements sinueux des uns et des autres.

Fabrice, fils de tueur Hutu : " La maman m'a emmené au procès du papa. J'ai écouté des gens charger le papa. J'étais trop enfant pour accrocher les détails. Lorsque nous avons entendu la condamnation à la peine capitale, nous l'avons acceptée comme telle, parce que nous ne pouvions pas faire autrement... "

Immaculée, fille de Tutsi, qui exprime son désir de se marier : " En tout cas, pas un Hutu. Même s'il se montre aimable et compréhensif ? Non, non, pas question, parce qu'ils ont commis trop de méchancetés envers nous. Non, je ne pourrais pas accepter un Hutu très beau de sa personne, riche et fignolé, ni flâneur ; parce que sa présence pourrait bousculer mes parents. Sachant ce qu'ils ont vécu pendant les tueries, et ma grande sœur Gigi aussi, il me serait honteux d'introduire dans la famille un prétendant d'une autre ethnie. Ce ne serait pas la peur de cette personne, mais le manque de respect pour les miens. La méfiance, aussi, de moi pour lui, et de lui pour moi. La méfiance est fatale dans notre for intérieur... "