Les quatre saisons de Pedrosa

Les équinoxes

Les équinoxes (Cyril Pedrosa – Editions Dupuis)

Une photographe désargentée, un orthodontiste en dispute perpétuelle avec son ex-femme, un futur prêtre en proie au doute, un militant politique ayant perdu ses illusions, un conducteur de machines sur son dernier chantier… Dans « Les équinoxes », tous les personnages, jeunes ou vieux, ont pour point commun d’être à la fois en quête de quelque chose et très seuls. Une solitude qu’ils ne parviennent pas à masquer lorsque leurs regards sont mis à nu par l’objectif de l’appareil photo de Camille. Qu’ils s’appellent Vincent, Louis, Antoine ou Pauline, tous tentent tant bien que mal de trouver leur place dans ce monde décidément très complexe. Dans « Les équinoxes », un terme qui désigne ces moments où l’ombre et la lumière s’équilibrent parfaitement, Cyril Pedrosa nous plonge véritablement dans les états d’âme de ses personnages. On les accompagne pendant un an, l’album étant découpé en quatre saisons: automne, hiver, printemps, été. Quatre tableaux avec chacun une identité graphique propre. Quatre saisons inaugurées par autant de séquences muettes qui se déroulent durant la préhistoire et qui mettent en scène un jeune garçon confronté aux éléments de la nature. Un choix étonnant mais qui finit par trouver tout son sens lorsque Cyril Pedrosa fait le lien entre ce garçon du néolithique et les autres personnages de son roman graphique. « Ce petit garçon qui a marché dans cette grotte il y a 30.000 ans a encore un impact sur nous ou la marche du monde », explique l’auteur dans une interview au Figaro. « On est reliés à lui. Pour montrer que tous ces personnages sont de même nature dans une humanité commune. »

Les équinoxes (extrait)

Cyril Pedrosa est décidément un auteur très intéressant à suivre. Quatre ans après la sortie de l’autobiographique « Portugal », qui lui avait valu de nombreuses récompenses parmi lesquelles le prix Le Point, le prix Fnac et les prix des Libraires de bande dessinée, il signe avec « Les équinoxes » un roman graphique qui devrait une nouvelle fois marquer les esprits… et rafler quelques prix supplémentaires. Avec ses 330 pages, il est encore plus volumineux que « Portugal », mais il va surtout plus loin dans l’introspection, ainsi que dans la recherche graphique et narrative. Dans « Les équinoxes », Pedrosa mélange non seulement plusieurs styles graphiques, mais il intègre aussi des pleines pages de texte, faisant ainsi de son livre un vrai roman graphique. « Quelle que soit la force d’expressivité du dessin, il y a certains endroits où il est extrêmement difficile d’aller. Le dessin pur est très efficace pour faire passer certains sentiments liés aux actions, car on est dans la représentation. Mais dès que l’on souhaite aborder l’intériorité des personnages, je crois qu’il ne reste plus que les mots. Je voulais prendre le temps d’être précis, exigeant, même si je savais que cela demanderait un effort au lecteur », explique Cyril Pedrosa. Pour être honnête, il faut effectivement un peu de temps pour parvenir à entrer véritablement dans cet album, qui risque sans doute d’en désarçonner certains. C’est d’ailleurs un livre qui, généralement, ne se lit pas d’une traite. Mais au fil des pages, on se laisse prendre par ces tranches de vie et on découvre que, malgré leurs différences, tous les personnages des « Equinoxes » sont liés entre eux. Au final, cela donne un ouvrage aussi singulier que passionnant. Un roman graphique pas forcément facile à lire… mais c’est précisément ce qui fait sa force. Certainement l’une des BD les plus audacieuses et les plus personnelles de cette année.