Les apophtegmes de Jean-Pierre Vidal…

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101. — Les vieux couples ont complètement dilué chacun des deux individus qui les composent dans un espace collectif qui leur tient lieu désormais de proximité. Le couple est plein de tendresses, de caresses, de chaleur, mais ceux qui le forment sont souvent secs, froids, distants.

102. — Toute perspective est un trajet de roi parce qu’elle donne de l’élan au regard et parce qu’elle oriente l’âme vers l’infini. Au bout de toute perspective, il y a un dieu qui nous attend pour nous révéler que nous n’en sommes pas un et nous ramener au juste orgueil de n’être qu’un homme. Sans perspective, nous ne sommes que des monstres qui se prennent pour des dieux.

103. — Pas d’élégance sans quelque raideur secrète. Mais combien de raideurs sans jamais la moindre élégance.

104. — Une image ne vaut mille mots qu’à condition, justement, de les susciter. À défaut de quoi, elle n’est jamais qu’une sidération muette. L’extrême faveur dont jouit ce cliché chez tous ceux qui font profession d’hypnotisme marchand est à la mesure de son indigence : on le donne pour une vérité profonde alors qu’il n’est qu’un slogan publicitaire déguisé.

105. — Les sociétés occidentales sont en train de revenir au suffrage censitaire d’antan. À cette différence près que ce n’est plus l’électeur qui doit arguer d’un certain revenu pour pouvoir voter, mais le candidat qui doit se prévaloir d’une fortune point trop négligeable pour être éligible. Dis-moi ton revenu, je te dirai tes chances d’être élu.

106. — Les bruits de bottes sont toujours des bruits de tripes. Peut-être est-ce cela « l’estomac dans les talons » : cela veut dire, en l’occurrence et à l’inverse, les talons dans l’estomac. Mais celui de l’autre.

107. — La vérité est toujours plus compliquée que le mensonge. Ne serait-ce que parce qu’elle n’est jamais vraiment nue et que son strip-tease est toujours réticent ? Le seul problème du mensonge, c’est la solidité de la fibre dont il est tissé et l’accord de ses coordonnés.

108. — Les médias de masse ont couronné le public, mais c’est d’un bonnet d’âne. Ils l’ont sanctifié mais c’est de bêtification qu’il s’agit.

109. — À poil, les lesbiennes en sont pleines et les gays dépourvus.

110. — Le bénévolat reste sans doute une des meilleures façons de dire son mépris aux puissances d’argent. Mais c’est aussi une bonne façon de les engraisser davantage.

Notice biographique

Écrivain, sémioticien et chercheur, Jean-Pierre Vidal est professeur émérite de l’Université du Québec à Chicoutimi où il a enseigné depuis sa fondation en 1969.  Outre des centaines d’articles dans des revues universitaireschat qui louche, maykan, alain gagnon, francophonie, québec, littératurequébécoises et françaises, il a publié deux livres sur Alain Robbe-Grillet, trois recueils de nouvelles (Histoires cruelles et lamentables – 1991, Petites morts et autres contrariétés – 2011, et Le chat qui avait mordu Sigmund Freud – 2013), un essai en 2004 : Le labyrinthe aboli – de quelques Minotaures contemporains ainsi qu’un recueil d’aphorismes,Apophtegmes et rancœurs, aux Éditions numériques du Chat qui louche en 2012.  Jean-Pierre Vidal collabore à diverses revues culturelles et artistiques (SpiraleTangenceXYZEsseEtcCiel VariableZone occupée).  En plus de cette Chronique d’humeur bimensuelle, il participe occasionnellement, sous le pseudonyme de Diogène l’ancien, au blogue de Mauvaise herbe.  Depuis 2005, il est conseiller scientifique au Fonds de Recherche du Québec–Société et Culture (F.R.Q.S.C.).

(Une invitation à visiter le jumeau du Chat Qui Louche :https://maykan2.wordpress.com/)