Thème
Quand je serais grande, je prendrais soin des autres…
Une citation
Je produis du plaisir de la jouissance, de l’orgasme, donc de la détente et du bien-être…
Le Livre en quelques mots
Albertine, escorte de luxe. Daniel, sociologue. Un duo qui fait réfléchir sur le travail du sexe, ses mutations, ses particularités et ses analogies avec des métiers reconnus.
Ce que j’en ai pensé.
Dès le début, grâce à une introduction nécessaire, nous connaissons les deux interlocuteurs, la façon dont ils ont construit leur relation en dehors et à travers ce livre. Les intentions, les modalités, le genre d’attraction qui s’exerce entre eux aussi. Et vous pouvez d’ores et déjà mettre de côté une hypothétique relation charnelle. Oui, ils l’abordent. Dans cette introduction, à la place de non-dits, de doutes ou de suspicions, se trouvent les bases d’une communication réelle. Et cela portera ses fruits tout au long de cet échange.
Albertine et Daniel partagent des valeurs et n’hésitent pas à se positionner franchement notamment par rapport aux Moralisateurs et à la notion de travail, au mariage et au positionnement catholique comme dans ce passage : Depuis que l’Eglise catholique adhère officiellement au féminisme, elle fait des violences faites aux femmes son leitmotiv pour dénoncer les pratiques sociales contraires à sa morale. (…) Si l’on suit cette logique – l’interdiction des pratiques sociales qui contribuent aux violences sexistes-, on aimerait entendre ces entrepreneurs de morale réclamer : L’interdiction du mariage ou de la vie de couple, contextes dans lesquels s’exercent principalement les violences faites aux femmes : une femme sur vingt a été violentée physiquement dans les douze derniers mois. Une femme meurt sous les coups de son compagnon tous les deux jours et demi. (P77-78)
Là ou les sociologues s’arrêtent à un état des lieux comme le dit Daniel, « Les sociologues osent rarement dépasser cette remarque. On constate la lacune, on la signale au passage… Et cela s’arrête là. Au mieux, le texte publié décrit de manière ethnographique quelques situations, comme je l’ai fait dans La planète échangiste. » (P125), Albertine y pose des mots réels et crus, non crus comme on peut l’entendre, mais justes, factuels et techniques. Les émotions dans tout ça, vous me direz? Elles ont aussi toute leur place, là réside la force de son écrit. Il y a d’ailleurs une très belle analyse de Daniel quant à la pudeur, la gêne et le désir qui s’invite.
Albertine nous parle de son métier et de tout ce qu’elle mobilise : l’Amour du corps, des techniques sexuelles et du bien-être, un sens prononcé de la psychologie avec une écoute de l’autre, une communication essentielle mais aussi des règles à respecter, un cadre défini, des droits et devoirs, des compétences et des prestations en fonction, les moments appréciés, l’épanouissement personnels et les tâches plus compliquées à effectuer comme dans tout métier finalement. Tout ce qu’elle aborde dans sa réalité, permet de distancer si ce n’est tous, au moins une bonne partie des préjugés. Tout dépend du nombre de préjugés avec lesquels nous entamons cette lecture…
Certain(e)s d’entre nous peuvent être dérouté(e)s par certaines analogies. Prenons un exemple :
Traditionnellement, les femmes étaient censées s’oublier pour s’occuper de l’autre (mari, l’amant), l’aider et le satisfaire. Cette vision évolue de nos jours vers un modèle plus égalitaire. De fait, il semble qu’au moins dans un premier temps, avant que l’habitus ne reprenne le dessus, femmes et hommes s’écoutent, essaient d’accorder leurs désirs aux possibilités, à l’état physique, mental et érotique de l’autre.
Pour Albertine, la problématique est plus simple en professionnelle devant offrir un service de luxe, il lui faut prendre en charge, rassurer, accompagner, aider, soigner le client. Cette dimension émotionnelle entre en ligne de compte dans d’autres métiers typiquement considérés comme naturellement féminins : caissières de supermarché, infirmières, etc. C’est un travail invisible, en général non valorisé et non payé comme tel. Pour l’escorte de luxe, il fait sciemment partie de la prestation, sans doute de manière centrale.
Et un deuxième :
En empruntant à l’anglais, nous avons pris l’habitude de distinguer deux facettes du soin : le cure et le care. La première indique des pratiques pouvant assez facilement être décrites, la seconde une attention ou une sollicitude envers la personne concernée. En santé, la première vise la maladie, la seconde le malade.
Le premier passage est issu du livre (P137), le dernier passage d’un colloque Le soin aujourd’hui : questions vitales et textes clés, qui s’est déroulé le 23 janvier 2015, et dont parle cet article sur le site Infirmiers.com. A savoir que des débats ont déjà lieu sur le métier d’assistante sexuelle pour les personnes en situation de handicap, interdit en France. Pour aller plus loin, vous pouvez poursuivre avec cet article sur ce sujet, ainsi que des lettres officielles pour défendre cette activité.
Albertine soulève donc cette notion du bien-être et de l’importance de la sexualité. Et si vous rencontrez des difficultés à l’aborder en tant que travail, elle propose une autre interprétation avec élégance : « Je suis en quelque sorte une faiseuse d’orgasme, idée qui me plaît bien. Je donne à avoir des orgasmes à mes partenaires et à moi-même. Il s’agit néanmoins d’une production, artisanale certes, mais une production. Peut-être devrions-nous d’ailleurs envisager le travail du sexe comme une production de jouissance dans un monde tellement préoccupé à produire quelque chose. Je produis du plaisir de la jouissance, de l’orgasme, donc de la détente et du bien-être. » (P141 et P150)
Si l’on parle de la notion de vie professionnelle, il faut donc aborder la vie personnelle. L’impact sur la vie privée d’un travailleur du sexe est non négligeable. Se sentir obligé de définir ses amoureux comme n’étant pas des clients, comme si l’on ne pouvait pas lui attribuer des relations non tarifées en dehors de son travail… En tout cas, c’est ce que la loi fait, en menaçant tout compagnon de proxénétisme. La femme publique n’a pas le droit au privé, à l’intime. L’activité peut être acceptable socialement si elle est présentée comme passagère et nécessaire pour payer des études hautement plus « glorieuses », mais s’y investir est vouloir en vivre devient honteux, révélant une sorte de manque d’ambition ou de perversion car, comment peut-on monnayer son corps ?
C’est ce que je tenterais d’éclaircir dans mes lectures suivantes, avec Le corps et l’argent de Ruwen OGIEN, et Prostitution et dignité de Norbert CAMPAGNA, édités aux mêmes éditions. La Putain et le Sociologue est une collaboration riche en questionnement, en éclaircissement. Une ouverture d’esprit et un regard critique sur un sujet tabou, voici ce qu’on y trouve…
Je remercie les Editions de la Musardine et le forum Au coeur de l’Imaginarium d’avoir proposé ce partenariat lu en une journée…