Prends garde

Par Lecteur34000

« Prends garde »

AGUS Milena

CASTELLINA Luciana

(Liana Levi)

Une romancière : Milena Agus. Une historienne : Luciana Castellina. Un même sujet : les révoltes des ouvriers agricoles, dans les Pouilles, au lendemain de la Seconde guerre mondiale, révoltes auxquelles se greffe la mort de deux vieilles dames, les sœurs Porro. L’affrontement de deux classes. Les damnés de la terre, ceux qui, littéralement, crèvent de faim. La vieille aristocratie terrienne, à laquelle appartiennent les deux sœurs Porro. Les premiers, soutenus, encouragés par les syndicats, le parti communiste et même le parti socialiste. Les seconds qui ne veulent rien céder, qui n’entendent pas que leur vieux monde se fissure et qui résistent donc avec l’assentiment feutré des démocrates postfascistes mais aussi des vrais nouveaux maîtres, leurs amis et libérateurs américains.

Par quel versant aborder cet ouvrage ? Le Lecteur a opté, lui, pour le versant littéraire. Milena Agus s’est en quelque sorte enfermée chez les Porro. Elle les observe. Elle partage leur existence de bourgeois convaincus que, la guerre terminée, le fascisme terrassé, tout restera toujours comme avant. Jusqu’au jour où une étincelle (un coup de feu tiré a priori depuis le toit de leur palais lors d’un meeting syndical) provoque un fulgurant brasier. La foule des damnés de la terre s’acharne sur les deux sœurs. Milena Agus confie alors à Vicenza le soin de décrire l’écroulement du vieux monde, ses tentatives de femme qui ne parvient pas à s’émanciper pour tenter d’en décrypter le sens, ses angoisses face à ce qui survient et qui, en quelque sorte, l’exclut. Dans une approche infiniment pessimiste qui a laissé au Lecteur le désagréable sentiment qu’au bout du compte, mieux valait s’abandonner au renoncement.

Le parti pris de Luciana Castellina, l’historienne, lui a ensuite permis de retrouver son équilibre et sa sérénité. La lutte des classes est une réalité incontournable. Ce qui se produisit dans les Pouilles en est une illustration. L’affrontement entre la vieille aristocratie et des ouvriers agricoles qui prennent peu à peu conscience d’appartenir à une seule et même classe. Sans que les syndicats et les partis de gauche, imprégnés de culture ouvriériste, ne soient toujours en mesure de leur apporter l’aide et l’assistance dont ils auraient eu besoin.

Au bout du compte, les deux versants de la même histoire se complètent, s’adossent, s’enrichissent mutuellement. Pour peu que l’on prenne le temps d’en découvrir les interférences. Pour peu que l’on effaçât de sa mémoire, ne serait-ce que durant un bref instant, les images des chefs d’œuvre d’un certain cinéma social et politique italien.