"Mon "amour", Me voici de retour. J'ai fait bon voyage et je te remercie pour les éprouvantes démarches que tu as effectuées auprès de la banque pendant mon absence. Sans ton intervention, ma carte de crédit ayant été bloquée, je serais probablement encore à New York. Un New York inédit puisque c'eût été un New York à la rue. Encore une occasion ratée ! A trimballer son confort jusqu'aux antipodes, on finit par ne plus voyager vraiment. Il faut saisir le monde par les aisselles, non par les palaces. On perce mieux les mystères de l'univers en finissant clochard dans sa propre venelle que muni de sa carte Visa sur l'Amazone à Belém do Para. Les géographies sont moins exotiques que l'imprévu. Ce ne sont pas les pays qui dépaysent, mais les événements.
L'événement est toujours victorieux du monde. Il trahit les prévisions, assassine les théories. La réalité ne lui résiste jamais. Il a raison, il règne : car il a eu lieu. Et tout ce qui n'a pas eu lieu se tait devant sa prééminence. Tout ce qui a failli avoir lieu cède la place, honteux, rampant, se faisant tout petit. L'événement écrase soudain les hommes de son évidence. En une fraction de seconde, l'événement nous impose ses conditions. Il était impensable, le voici irréversible. Et le voici définitif - et le voici vainqueur de tout. Cet imposteur vient d'arracher d'un seul coup, «t à jamais, toute la légitimité disponible dans l'univers. Quand il est désastre, il est irréparable. Quand il est inimaginable, il a lieu quand même. Ainsi, on s'aime, on rompt - une poignée d'automnes passent : on meurt.
Je ne crois pas à l'amour posthume : ces gens qui s'aiment au Ciel. C'est ici qu'a lieu la série des tourments ; l'amour posthume est légué dans la viande de l'enfant fait, qui porte des gènes autrefois amoureux les uns des autres, des gamètes jadis emmêlés les uns aux autres dans un peu de sueur, de soleil, de sperme, de bleu. Celui qui porte les découragements, les souffrances de notre passage, de notre rumeur dépassée, c'est lui, c'est l'enfant : et son apparition contient, appelle notre disparition. Estuaire de nos nuits, l'enfant, réceptacle de nos épisodes : résumé de nos attirances, resucée de nos sangs. Notre Ciel, c'est l'enfant : nous allons vivre dedans lui, il sera notre seul au-delà. Là-haut, c'est lui. Que restera-t-il de nos vertiges ? Lui. Si l'on recommence, c'est par lui, dans lui. Dans lui infiniment propagés, dans lui absolument propulsés. Dans lui grosso modo recommencés."
Les "courageux" qui ont lu les 1152 pages du précédent livre "Naissance" de Yann Moix (si si il y en a) , prix Renaudot en 2013 rappelons-le, risquent d'être décontenancés par le volume de son nouvel ouvrage "Une simple lettre d'amour" : seulement 144 pages !
Mais qu'ils se rassurent Yann Moix fait toujours du Yann Moix : le sujet principal de son livre c'est LUI toujours lui !
"Une simple lettre d'amour" n'est justement pas qu'une simple lettre d'amour. Ce que son titre ne dit pas, mais dont on peut comprendre la teneur en lisant la 4ème de couverture, c'est qu'il s'agit d'une lettre de rupture, d'adieu et pas une des plus tendres ! L'auteur vide littéralement son sac !
Cette "simple lettre d'amour", ou de rupture, d'adieu, c'est selon, s'adresse à une femme qu'il a aimée, une femme qui a beaucoup compté, qui (l') a beaucoup supporté, pendant des années avant de se résigner à le fuir.
A la première lecture de ce texte, Yann Moix se fait cynique (même s'il se défend du contraire), cruel, amer, perfide. Il y décrit le couple, les relations homme-femme, la routine, il est impitoyable avec le sexe opposé en général mais par-dessus tout avec lui-même, et démontre à quel point il n'est pas l'homme "idéal" pour ces relations que l'on dit d'amour. Il énumère ses tares : 34 en tout selon Bernard Pivot, qui en a écrit la préface.
Malgré ses quelques envolées lyriques qu'on lui connaît, que ce soit dans ses précédents livres, ou depuis quelques mois dans l'émission "On n'est pas couché", et à travers une plume parfois très littéraire mais aussi très crue (pour ne pas écrire "crade"), ce texte qu'on déteste ou qu'on dévore, il assène la vérité... SA vérité : comment croit-on être amoureux, d'un amour qui ne dura qu'un temps avant d'ouvrir les yeux sur ce qu'il est réellement...
Si cette lettre peut paraître violente, sombre, elle déborde surtout de sentiments contradictoires, d'amour, de haine, de reconnaissance pour cette femme amoureuse de cet homme qu'il fut, qu'il est, qui l'a supporté, puis quitté. A y regarder (ou lire) de plus près... l'homme que l'auteur décrit est tout simplement un homme très complexe, paradoxal, pessimiste, un homme amoureux, qui fuit, qui a peur de l'amour et surtout de lui-même. Si là encore il prétend ne pas être lâche... on peut en dire le contraire. La lâcheté n'est pas forcément de ne pas dire les choses ou de ne pas les assumer, la lâcheté peut être aussi de ne pas les vivre... pleinement...