Le livre du vendredi: L’Homme qui savait la langue des serpents

L'homme qui savait la langue des serpents

de Andrus Kivirähk

Leemet est le dernier homme de la famille, le dernier homme à connaître la langue des serpents et sera certainement le dernier homme à vivre dans la forêt alors que tout le monde autours de lui part pour le village et se convertit au christianisme. Il nous raconte sa vie, drôle et tragique, entre deux ères, entre deux mondes.

De son style élégant, Kivirähk nous conte la folle histoire d’un jeune estonien coincé entre le passé dépassé et la modernité irrationnelle. Entre sa mère qui le gave d’élan rôti et sa sœur qui veut se marier avec un ours. Entre les croyances dégénérées du Sage du Bois Sacré et le christianisme aveugle des gens du village. Je m’attendais à une lecture un peu laborieuse autours d’un folklore que je ne connaissais pas et même si l’aventure me tentait, je partais avec quelques appréhensions. Mais cette histoire est fluide et les pages se laissent tourner à la vitesse du vent. Avec son humour et une certaine subtilité, l’auteur nous entraîne facilement dans la vie de Leemet et on se met à croire à la Salamandre, aux poux géants, à la langue des serpents.

On sent tout de même que derrière ce conte, Kivirähk tient des propos engagés et virulents sur les traditions, la politique ou encore les mœurs de son pays. Le postface de Jean-Pierre Minaudier (qui est aussi le traducteur du livre) explique bien le contexte dans lequel cette œuvre et les idées que véhicule l’auteur s’inscrivent ; et, ne connaissant rien de l’Histoire ou de la politique estonienne, j’ai trouvé que cela venait bien compléter ma lecture. Il nous explique aussi qu’avec la traduction beaucoup de références, de subtilités et de jeux de mots sont passés à la trappe et cela me rappelle que à quel point j’aimerais savoir lire toutes les langues du monde !

Cela dit, je me suis aussi rendue compte que, auteur estonien ou pas, les questionnements soulevés dans ce livre ont un écho universel. C’est pour cela que je ne me suis pas sentie perdu face à ces traditions et à cette Histoire étrangères. S’adapter c’est survivre, certes, mais la modernité et le progrès doivent avoir un sens. On ne peut pas les suivre par mode ou par déférence pour des peuples que nous croyons plus avancés que le notre sans risquer de perdre notre identité. Mais on ne peut pas non plus fantasmer un passé meilleur que ce qu’il a été en réalité et faire fi des changements qui s’opèrent autours de nous. A une époque comme la notre, où la globalisation menace l’identité des petits pays mais aussi où nous commercialisons la nostalgie et l’authenticité du passé, ce livre gratte là où c’est absurde et dénonce l’ambivalence complètement inassumée de l’être l’humain.

Une belle lecture, drôle, surprenante et pleine de réflexions que je conseille, que l’on soit fan de littérature scandinave ou pas.

Marion