Je peux affirmer sans réserve que je n'ai jamais lu un livre qui ressemble, de près ou de loin, à La petite femelle. Et ce qui m'interpelle, c'est qu'ayant à peine refermé le livre, une multitude de questions me vient à l'esprit dont je voudrais accabler l'auteur.
Comment un écrivain peut-il mener un travail aussi exhaustif, aussi minutieux, sans jamais se défaire de son humour qui plus est? Comment peut-on se prendre de passion pour un crime vieux de 60 ans, et décider de rendre justice à une inconnue dont il semblerait que, plus on se penche sur son histoire, plus on s'éprend d'elle?
Car la bienveillance de Philippe pour Pauline Dubuisson est singulière et touchante, et l'auteur se révèle être un enquêteur hors pair, qui ne rechigne à aucune tâche ingrate pour prouver l'acharnement dont a été victime Pauline, et ceux qui se sont associés à la vindicte populaire pour l'enfoncer en prennent pour leur grade.
Ainsi Madeleine Jacob, que l'on se figure rapidement comme une vieille harpie frustrée, et dont on est, après la lecture, convaincu de la mauvaise foi et de la mesquinerie à l'égard de Pauline.
Ainsi les enquêteurs eux-mêmes, qui ont choisi délibérément d'écarter certaines preuves et d'en retenir d'autres, lorsqu'elles servaient un scénario qu'ils s'étaient élaborés, attestant du sang-froid et de la cruauté de Pauline qu'ils voulaient à tout prix voir éclater au grand jour.
Ainsi les journalistes, qui ont fait leurs choux gras de l'affaire, et ont fait passer Pauline pour une ambitieuse sans cœur, une pute à boches, une orgueilleuse qui n'aurait pas accepté de perdre l'emprise qu'elle avait sur un de ses nombreux soupirants.
Ainsi les témoins appelés à la barre, dont les allégations ont évolué au cours du temps, qui les ont altéré, et ont chargé Pauline injustement (on retiendra Grichon, le vieux moche qui s'est targué d'avoir eu une liaison avec elle et n'a pas hésité à répandre à son sujet des horreurs).
Le récit est truffé de digressions qui n'enlèvent rien au rythme, et l'étoffent encore en constituant tout autour de l'affaire le contexte dont le lecteur peut légitimement être peu familier.
L'humour, une fois de plus, est fameux : j'ai passé la semaine à rire dans le métro en lisant, à des heures où personne ne rit d'habitude, je vous le garantis.
Enfin, l'auteur éclaire ce fait divers sordide à la lumière des mœurs de l'époque, en interprétant l'ardeur avec laquelle Pauline a été châtiée comme l'expression d'une opinion publique redoutant l'émancipation des femmes, et désireuse de réaffirmer le rôle traditionnel de l'épouse, de la mère, et de sa place, qui est au foyer.
Cette vision de Pauline comme une femme libre avant l'heure, en avance d'une génération au moins sur son temps, est fascinante.
En plus d'être très instructif en matière de système judiciaire dans les années 1950, le roman donne à réfléchir sur la place de la femme dans la société, ce que l'on attend et que l'on tolère d'elle ou non, au lendemain d'une guerre qui a laissé des séquelles profondes, et il est toujours surprenant de songer qu'un demi-siècle seulement nous sépare de ce que nous rappelle Jaenada, qui, en publiant La petite femelle, oeuvre à mon sens pour la cause des femmes en véhiculant sa grande liberté d'esprit et sa modernité.
En conclusion, je crois que Philippe Jaenada vient de rejoindre le panthéon de mes auteurs chéris, et ses blagues sur les tisanes Ricola et le cochon d'Inde hystérique me font me demander s'il ne se pourrait pas qu'il soit mon âme soeur (en tout bien tout honneur, Anne-Catherine, bien sûr).